ait timide, de lui faire perdre la tete
de facon qu'elle fit un fiasco complet apres lequel le directeur ne
conclurait pas d'engagement. Des les premieres notes de la malheureuse,
quelques spectateurs, recrutes pour cela, se mirent a se montrer son dos
en riant, quelques femmes qui etaient du complot rirent tout haut,
chaque note flutee augmentait l'hilarite voulue qui tournait au
scandale. La malheureuse, qui suait de douleur sous son fard, essaya un
instant de lutter, puis jeta autour d'elle sur l'assistance des regards
desoles, indignes, qui ne firent que redoubler les huees. L'instinct
d'imitation, le desir de se montrer spirituelles et braves, mirent de la
partie de jolies actrices qui n'avaient pas ete prevenues, mais qui
lancaient aux autres des oeillades de complicite mechante, se tordaient
de rire, avec de violents eclats, si bien qu'a la fin de la seconde
chanson et bien que le programme en comportat encore cinq, le regisseur
fit baisser le rideau. Je m'efforcai de ne pas plus penser a cet
incident qu'a la souffrance de ma grand'mere quand mon grand-oncle, pour
la taquiner, faisait prendre du cognac a mon grand-pere, l'idee de la
mechancete ayant pour moi quelque chose de trop douloureux. Et pourtant,
de meme que la pitie pour le malheur n'est peut-etre pas tres exacte,
car par l'imagination nous recreons toute une douleur sur laquelle le
malheureux oblige de lutter contre elle ne songe pas a s'attendrir, de
meme la mechancete n'a probablement pas dans l'ame du mechant cette pure
et voluptueuse cruaute qui nous fait si mal a imaginer. La haine
l'inspire, la colere lui donne une ardeur, une activite qui n'ont rien
de tres joyeux; il faudrait le sadisme pour en extraire du plaisir, le
mechant croit que c'est un mechant qu'il fait souffrir. Rachel
s'imaginait certainement que l'actrice qu'elle faisait souffrir etait
loin d'etre interessante, en tout cas qu'en la faisant huer, elle-meme
vengeait le bon gout en se moquant du grotesque et donnait une lecon a
une mauvaise camarade. Neanmoins, je preferai ne pas parler de cet
incident puisque je n'avais eu ni le courage ni la puissance de
l'empecher; il m'eut ete trop penible, en disant du bien de la victime,
de faire ressembler aux satisfactions de la cruaute les sentiments qui
animaient les bourreaux de cette debutante.
Mais le commencement de cette representation m'interessa encore d'une
autre maniere. Il me fit comprendre en partie la nature de l'illusion
dont Sa
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