terrible commence. Incapable de surmonter sa deception,
de se passer de cette femme, il la relance, elle le fuit, si bien qu'un
sourire qu'il n'osait plus esperer est paye mille fois ce qu'eussent du
l'etre les dernieres faveurs. Il arrive meme parfois dans ce cas, quand
on a eu, par un melange de naivete dans le jugement et de lachete devant
la souffrance, la folie de faire d'une fille une inaccessible idole, que
ces dernieres faveurs, ou meme le premier baiser, on ne l'obtiendra
jamais, on n'ose meme plus le demander pour ne pas dementir des
assurances de platonique amour. Et c'est une grande souffrance alors de
quitter la vie sans avoir jamais su ce que pouvait etre le baiser de la
femme qu'on a le plus aimee. Les faveurs de Rachel, Saint-Loup pourtant
avait reussi par chance a les avoir toutes. Certes, s'il avait su
maintenant qu'elles avaient ete offertes a tout le monde pour un louis,
il eut sans doute terriblement souffert, mais n'eut pas moins donne un
million pour les conserver, car tout ce qu'il eut appris n'eut pas pu le
faire sortir--car cela est au-dessus des forces de l'homme et ne peut
arriver que malgre lui par l'action de quelque grande loi naturelle--de
la route dans laquelle il etait et d'ou ce visage ne pouvait lui
apparaitre qu'a travers les reves qu'il avait formes, d'ou ces regards,
ces sourires, ce mouvement de bouche etaient pour lui la seule
revelation d'une personne dont il aurait voulu connaitre la vraie nature
et posseder a lui seul les desirs. L'immobilite de ce mince visage,
comme celle d'une feuille de papier soumise aux colossales pressions de
deux atmospheres, me semblait equilibree par deux infinis qui venaient
aboutir a elle sans se rencontrer, car elle les separait. Et en effet,
la regardant tous les deux, Robert et moi, nous ne la voyions pas du
meme cote du mystere.
Ce n'etait pas "Rachel quand du Seigneur" qui me semblait peu de chose,
c'etait la puissance de l'imagination humaine, l'illusion sur laquelle
reposaient les douleurs de l'amour, que je trouvais grandes. Robert vit
que j'avais l'air emu. Je detournai les yeux vers les poiriers et les
cerisiers du jardin d'en face pour qu'il crut que c'etait leur beaute
qui me touchait. Et elle me touchait un peu de la meme facon, elle
mettait aussi pres de moi de ces choses qu'on ne voit pas qu'avec ses
yeux, mais qu'on sent dans son coeur. Ces arbustes que j'avais vus dans
le jardin, en les prenant pour des dieux etrangers, ne m'etais
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