lle ne voulait pas, blessee par son ton, avoir l'air
de chercher a desarmer; elle faisait semblant de ne pas detacher ses
yeux de tel ou tel homme, et d'ailleurs ce n'etait pas toujours par pur
jeu. En effet, que le monsieur qui au theatre ou au cafe se trouvait
leur voisin, que tout simplement le cocher du fiacre qu'ils avaient
pris, eut quelque chose d'agreable, Robert, aussitot averti par sa
jalousie, l'avait remarque avant sa maitresse; il voyait immediatement
en lui un de ces etres immondes dont il m'avait parle a Balbec, qui
pervertissent et deshonorent les femmes pour s'amuser, il suppliait sa
maitresse de detourner de lui ses regards et par la-meme le lui
designait. Or, quelquefois elle trouvait que Robert avait eu si bon gout
dans ses soupcons, qu'elle finissait meme par cesser de le taquiner pour
qu'il se tranquillisat et consentit a aller faire une course pour qu'il
lui laissat le temps d'entrer en conversation avec l'inconnu, souvent de
prendre rendez-vous, quelquefois meme d'expedier une passade. Je vis
bien des notre entree au restaurant que Robert avait l'air soucieux.
C'est que Robert avait immediatement remarque, ce qui nous avait echappe
a Balbec, que, au milieu de ses camarades vulgaires, Aime, avec un eclat
modeste, degageait, bien involontairement, le romanesque qui emane
pendant un certain nombre d'annees de cheveux legers et d'un nez grec,
grace a quoi il se distinguait au milieu de la foule des autres
serviteurs. Ceux-ci, presque tous assez ages, offraient des types
extraordinairement laids et accuses de cures hypocrites, de confesseurs
papelards, plus souvent d'anciens acteurs comiques dont on ne retrouve
plus guere le front en pain de sucre que dans les collections de
portraits exposes dans le foyer humblement historique de petits theatres
desuets ou ils sont representes jouant des roles de valets de chambre ou
de grands pontifes, et dont ce restaurant semblait, grace a un
recrutement selectionne et peut-etre a un mode de nomination
hereditaire, conserver le type solennel en une sorte de college augural.
Malheureusement, Aime nous ayant reconnus, ce fut lui qui vint prendre
notre commande, tandis que s'ecoulait vers d'autres tables le cortege
des grands pretres d'operette. Aime s'informa de la sante de ma
grand'mere, je lui demandai des nouvelles de sa femme et de ses enfants.
Il me les donna avec emotion, car il etait homme de famille. Il avait un
air intelligent, energique, mais respectueux. La
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