-meme, un degel veritable, une authentique place de province, de
vivantes femmes sur la plage (tout au plus lui eusse-je commande le
portrait des realites que je n'avais pas su approfondir, comme un chemin
d'aubepine, non pour qu'il me conservat leur beaute mais me la
decouvrit), maintenant au contraire, c'etait l'originalite, la seduction
de ces peintures qui excitaient mon desir, et ce que je voulais surtout
voir, c'etait d'autres tableaux d'Elstir.
Il me semblait d'ailleurs que ses moindres tableaux, a lui, etaient
quelque chose d'autre que les chefs-d'oeuvre de peintres meme plus
grands. Son oeuvre etait comme un royaume clos, aux frontieres
infranchissables, a la matiere sans seconde. Collectionnant avidement
les rares revues ou on avait publie des etudes sur lui, j'y avais appris
que ce n'etait que recemment qu'il avait commence a peindre des paysages
et des natures mortes, mais qu'il avait commence par des tableaux
mythologiques (j'avais vu les photographies de deux d'entre eux dans son
atelier), puis avait ete longtemps impressionne par l'art japonais.
Certaines des oeuvres les plus caracteristiques de ses diverses manieres
se trouvaient en province. Telle maison des Andelys ou etait un de ses
plus beaux paysages m'apparaissait aussi precieuse, me donnait un aussi
vif desir du voyage, qu'un village chartrain dans la pierre meuliere
duquel est enchasse un glorieux vitrail; et vers le possesseur de ce
chef-d'oeuvre, vers cet homme qui au fond de sa maison grossiere, sur la
grand'rue, enferme comme un astrologue, interrogeait un de ces miroirs
du monde qu'est un tableau d'Elstir et qui l'avait peut-etre achete
plusieurs milliers de francs, je me sentais porte par cette sympathie
qui unit jusqu'aux coeurs, jusqu'aux caracteres de ceux qui pensent de
la meme facon que nous sur un sujet capital. Or, trois oeuvres
importantes de mon peintre prefere etaient designees, dans l'une de ces
revues, comme appartenant a Mme de Guermantes. Ce fut donc en somme
sincerement que, le soir ou Saint-Loup m'avait annonce le voyage de son
amie a Bruges, je pus, pendant le diner, devant ses amis, lui jeter
comme a l'improviste:
--Ecoute, tu permets? derniere conversation au sujet de la dame dont
nous avons parle. Tu te rappelles Elstir, le peintre que j'ai connu a
Balbec?
--Mais, voyons, naturellement.
--Tu te rappelles mon admiration pour lui?
--Tres bien, et la lettre que nous lui avions fait remettre.
--Eh bien, une de
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