gee d'ou Robert restait a se
demander quelle resolution son amie allait prendre.
Enfin, elle lui demanda s'il consentirait a pardonner. Aussitot qu'il
eut compris que la rupture etait evitee, il vit tous les inconvenients
d'un rapprochement. D'ailleurs il souffrait deja moins et avait presque
accepte une douleur dont il faudrait, dans quelques mois peut-etre,
retrouver a nouveau la morsure si sa liaison recommencait. Il n'hesita
pas longtemps. Et peut-etre n'hesita-t-il que parce qu'il etait enfin
certain de pouvoir reprendre sa maitresse, de le pouvoir, donc de le
faire. Seulement elle lui demandait, pour qu'elle retrouvat son calme,
de ne pas revenir a Paris au 1er janvier. Or, il n'avait pas le courage
d'aller a Paris sans la voir. D'autre part elle avait consenti a voyager
avec lui, mais pour cela il lui fallait un veritable conge que le
capitaine de Borodino ne voulait pas lui accorder.
--Cela m'ennuie a cause de notre visite chez ma tante qui se trouve
ajournee. Je retournerai sans doute a Paris a Paques.
--Nous ne pourrons pas aller chez Mme de Guermantes a ce moment-la, car
je serai deja a Balbec. Mais ca ne fait absolument rien.
--A Balbec? mais vous n'y etiez alle qu'au mois d'aout.
--Oui, mais cette annee, a cause de ma sante, on doit m'y envoyer plus
tot.
Toute sa crainte etait que je ne jugeasse mal sa maitresse, apres ce
qu'il m'avait raconte. "Elle est violente seulement parce qu'elle est
trop franche, trop entiere dans ses sentiments. Mais c'est un etre
sublime. Tu ne peux pas t'imaginer les delicatesses de poesie qu'il y a
chez elle. Elle va passer tous les ans le jour des morts a Bruges. C'est
"bien", n'est-ce pas? Si jamais tu la connais, tu verras, elle a une
grandeur...." Et comme il etait imbu d'un certain langage qu'on parlait
autour de cette femme dans des milieux litteraires: "Elle a quelque
chose de sideral et meme de vatique, tu comprends ce que je veux dire,
le poete qui etait presque un pretre."
Je cherchai pendant tout le diner un pretexte qui permit a Saint-Loup de
demander a sa tante de me recevoir sans attendre qu'il vint a Paris. Or,
ce pretexte me fut fourni par le desir que j'avais de revoir des
tableaux d'Elstir, le grand peintre que Saint-Loup et moi nous avions
connu a Balbec. Pretexte ou il y avait, d'ailleurs, quelque verite car
si, dans mes visites a Elstir, j'avais demande a sa peinture de me
conduire a la comprehension et a l'amour de choses meilleures
qu'elle
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