e que c'est lui que
j'avais apercu le plus souvent, etait le prince de Borodino. Mais ni
Saint-Loup, ni ses amis, s'ils rendaient en lui justice au bel officier
qui assurait a son escadron une tenue incomparable, n'aimaient l'homme.
Sans parler de lui evidemment sur le meme ton que de certains officiers
sortis du rang et francs-macons, qui ne frequentaient pas les autres et
gardaient a cote d'eux un aspect farouche d'adjudants, ils ne semblaient
pas situer M. de Borodino au nombre des autres officiers nobles,
desquels a vrai dire, meme a l'egard de Saint-Loup, il differait
beaucoup par l'attitude. Eux, profitant de ce que Robert n'etait que
sous-officier et qu'ainsi sa puissante famille pouvait etre heureuse
qu'il fut invite chez des chefs qu'elle eut dedaignes sans cela, ne
perdaient pas une occasion de le recevoir a leur table quand s'y
trouvait quelque gros bonnet capable d'etre utile a un jeune marechal
des logis. Seul, le capitaine de Borodino n'avait que des rapports de
service, d'ailleurs excellents, avec Robert. C'est que le prince, dont
le grand-pere avait ete fait marechal et prince-duc par l'Empereur, a la
famille de qui il s'etait ensuite allie par son mariage, puis dont le
pere avait epouse une cousine de Napoleon III et avait ete deux fois
ministre apres le coup d'Etat, sentait que malgre cela il n'etait pas
grand' chose pour Saint-Loup et la societe des Guermantes, lesquels a
leur tour, comme il ne se placait pas au meme point de vue qu'eux, ne
comptaient guere pour lui. Il se doutait que, pour Saint-Loup, il
etait--lui apparente aux Hohenzollern--non pas un vrai noble mais le
petit-fils d'un fermier, mais, en revanche, considerait Saint-Loup comme
le fils d'un homme dont le comte avait ete confirme par l'Empereur--on
appelait cela dans le faubourg Saint-Germain les comtes refaits--et
avait sollicite de lui une prefecture, puis tel autre poste place bien
bas sous les ordres de S.A. le prince de Borodino, ministre d'Etat, a
qui l'on ecrivait "Monseigneur" et qui etait neveu du souverain.
Plus que neveu peut-etre. La premiere princesse de Borodino passait pour
avoir eu des bontes pour Napoleon Ier qu'elle suivit a l'ile d'Elbe, et
la seconde pour Napoleon III. Et si, dans la face placide du capitaine,
on retrouvait de Napoleon Ier, sinon les traits naturels du visage, du
moins la majeste etudiee du masque, l'officier avait surtout dans le
regard melancolique et bon, dans la moustache tombante, quelque chose
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