rs que, pour eveiller le dormeur, sa propre volonte est obligee, meme
dans un matin d'or, de frapper a grands coups de hache, comme un jeune
Siegfried. Au dela encore sont les cauchemars dont les medecins
pretendent stupidement qu'ils fatiguent plus que l'insomnie, alors
qu'ils permettent au contraire au penseur de s'evader de l'attention;
les cauchemars avec leurs albums fantaisistes, ou nos parents qui sont
morts viennent de subir un grave accident qui n'exclut pas une guerison
prochaine. En attendant nous les tenons dans une petite cage a rats, ou
ils sont plus petits que des souris blanches et, couverts de gros
boutons rouges, plantes chacun d'une plume, nous tiennent des discours
ciceroniens. A cote de cet album est le disque tournant du reveil grace
auquel nous subissons un instant l'ennui d'avoir a rentrer tout a
l'heure dans une maison qui est detruite depuis cinquante ans, et dont
l'image est effacee, au fur et a mesure que le sommeil s'eloigne, par
plusieurs autres, avant que nous arrivions a celle qui ne se presente
qu'une fois le disque arrete et qui coincide avec celle que nous verrons
avec nos yeux ouverts.
Quelquefois je n'avais rien entendu, etant dans un de ces sommeils ou
l'on tombe comme dans un trou duquel on est tout heureux d'etre tire un
peu plus tard, lourd, surnourri, digerant tout ce que nous ont apporte,
pareilles aux nymphes qui nourrissaient Hercule, ces agiles puissances
vegetatives, a l'activite redoublee pendant que nous dormons.
On appelle cela un sommeil de plomb; il semble qu'on soit devenu
soi-meme, pendant quelques instants apres qu'un tel sommeil a cesse, un
simple bonhomme de plomb. On n'est plus personne. Comment, alors,
cherchant sa pensee, sa personnalite comme on cherche un objet perdu,
finit-on par retrouver son propre moi plutot que tout autre? Pourquoi,
quand on se remet a penser, n'est-ce pas alors une autre personnalite
que l'anterieure qui s'incarne en nous? On ne voit pas ce qui dicte le
choix et pourquoi, entre les millions d'etres humains qu'on pourrait
etre, c'est sur celui qu'on etait la veille qu'on met juste la main.
Qu'est-ce qui nous guide, quand il y a eu vraiment interruption (soit
que le sommeil ait ete complet, ou les reves, entierement differents de
nous)? Il y a eu vraiment mort, comme quand le coeur a cesse de battre
et que des tractions rythmees de la langue nous raniment. Sans doute la
chambre, ne l'eussions-nous vue qu'une fois, eveille-t-elle des
so
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