uvenirs auxquels de plus anciens sont suspendus. Ou quelques-uns
dormaient-ils en nous-memes, dont nous prenons conscience? La
resurrection au reveil--apres ce bienfaisant acces d'alienation mentale
qu'est le sommeil--doit ressembler au fond a ce qui se passe quand on
retrouve un nom, un vers, un refrain oublies. Et peut-etre la
resurrection de l'ame apres la mort est-elle concevable comme un
phenomene de memoire.
Quand j'avais fini de dormir, attire par le ciel ensoleille, mais retenu
par la fraicheur de ces derniers matins si lumineux et si froids ou
commence l'hiver, pour regarder les arbres ou les feuilles n'etaient
plus indiquees que par une ou deux touches d'or ou de rose qui
semblaient etre restees en l'air, dans une trame invisible, je levais la
tete et tendais le cou tout en gardant le corps a demi cache dans mes
couvertures; comme une chrysalide en voie de metamorphose, j'etais une
creature double aux diverses parties de laquelle ne convenait pas le
meme milieu; a mon regard suffisait de la couleur, sans chaleur; ma
poitrine par contre se souciait de chaleur et non de couleur. Je ne me
levais que quand mon feu etait allume et je regardais le tableau si
transparent et si doux de la matinee mauve et doree a laquelle je venais
d'ajouter artificiellement les parties de chaleur qui lui manquaient,
tisonnant mon feu qui brulait et fumait comme une bonne pipe et qui me
donnait comme elle eut fait un plaisir a la fois grossier parce qu'il
reposait sur un bien-etre materiel et delicat parce que derriere lui
s'estompait une pure vision. Mon cabinet de toilette etait tendu d'un
papier a fond d'un rouge violent que parsemaient des fleurs noires et
blanches, auxquelles il semble que j'aurais du avoir quelque peine a
m'habituer. Mais elles ne firent que me paraitre nouvelles, que me
forcer a entrer non en conflit mais en contact avec elles, que modifier
la gaiete et les chants de mon lever, elles ne firent que me mettre de
force au coeur d'une sorte de coquelicot pour regarder le monde, que je
voyais tout autre qu'a Paris, de ce gai paravent qu'etait cette maison
nouvelle, autrement orientee que celle de mes parents et ou affluait un
air pur. Certains jours, j'etais agite par l'envie de revoir ma
grand'mere ou par la peur qu'elle ne fut souffrante; ou bien c'etait le
souvenir de quelque affaire laissee en train a Paris, et qui ne marchait
pas: parfois aussi quelque difficulte dans laquelle, meme ici, j'avais
trouve le moye
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