urs bleues et tenant a la main un bouquet d'oeillets. Arrive au
bout, son mur plein ou ne s'ouvrait aucune porte me dit naivement:
"Maintenant il faut revenir, mais tu vois, tu es chez toi", tandis que
le tapis moelleux ajoutait pour ne pas demeurer en reste que, si je ne
dormais pas cette nuit, je pourrais tres bien venir nu-pieds, et que les
fenetres sans volets qui regardaient la campagne m'assuraient qu'elles
passeraient une nuit blanche et qu'en venant a l'heure que je voudrais
je n'avais a craindre de reveiller personne. Et derriere une tenture je
surpris seulement un petit cabinet qui, arrete par la muraille et ne
pouvant se sauver, s'etait cache la, tout penaud, et me regardait avec
effroi de son oeil-de-boeuf rendu bleu par le clair de lune. Je me
couchai, mais la presence de l'edredon, des colonnettes, de la petite
cheminee, en mettant mon attention a un cran ou elle n'etait pas a
Paris, m'empecha de me livrer au traintrain habituel de mes revasseries.
Et comme c'est cet etat particulier de l'attention qui enveloppe le
sommeil et agit sur lui, le modifie, le met de plain-pied avec telle ou
telle serie de nos souvenirs, les images qui remplirent mes reves, cette
premiere nuit, furent empruntees a une memoire entierement distincte de
celle que mettait d'habitude a contribution mon sommeil. Si j'avais ete
tente en dormant de me laisser reentrainer vers ma memoire coutumiere,
le lit auquel je n'etais pas habitue, la douce attention que j'etais
oblige de preter a mes positions quand je me retournais, suffisaient a
rectifier ou a maintenir le fil nouveau de mes reves. Il en est du
sommeil comme de la perception du monde exterieur. Il suffit d'une
modification dans nos habitudes pour le rendre poetique, il suffit qu'en
nous deshabillant nous nous soyons endormi sans le vouloir sur notre
lit, pour que les dimensions du sommeil soient changees et sa beaute
sentie. On s'eveille, on voit quatre heures a sa montre, ce n'est que
quatre heures du matin, mais nous croyons que toute la journee s'est
ecoulee, tant ce sommeil de quelques minutes et que nous n'avions pas
cherche nous a paru descendu du ciel, en vertu de quelque droit divin,
enorme et plein comme le globe d'or d'un empereur. Le matin, ennuye de
penser que mon grand-pere etait pret et qu'on m'attendait pour partir du
cote de Meseglise, je fus eveille par la fanfare d'un regiment qui tous
les jours passa sous mes fenetres. Mais deux ou trois fois--et je le
dis, car o
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