Souvent avant cette soiree au theatre, je faisais ainsi de
petites sorties avant le dejeuner, quand le temps etait beau; s'il avait
plu, a la premiere eclaircie je descendais faire quelques pas, et tout
d'un coup, venant sur le trottoir encore mouille, change par la lumiere
en laque d'or, dans l'apotheose d'un carrefour poudroyant d'un
brouillard que tanne et blondit le soleil, j'apercevais une pensionnaire
suivie de son institutrice ou une laitiere avec ses manches blanches, je
restais sans mouvement, une main contre mon coeur qui s'elancait deja
vers une vie etrangere; je tachais de me rappeler la rue, l'heure, la
porte sous laquelle la fillette (que quelquefois je suivais) avait
disparu sans ressortir. Heureusement la fugacite de ces images caressees
et que je me promettais de chercher a revoir les empechait de se fixer
fortement dans mon souvenir. N'importe, j'etais moins triste d'etre
malade, de n'avoir jamais eu encore le courage de me mettre a
travailler, a commencer un livre, la terre me paraissait plus agreable a
habiter, la vie plus interessante a parcourir depuis que je voyais que
les rues de Paris comme les routes de Balbec etaient fleuries de ces
beautes inconnues que j'avais si souvent cherche a faire surgir des bois
de Meseglise, et dont chacune excitait un desir voluptueux qu'elle seule
semblait capable d'assouvir.
En rentrant de l'Opera, j'avais ajoute pour le lendemain a celles que
depuis quelques jours je souhaitais de retrouver l'image de Mme de
Guermantes, grande, avec sa coiffure haute de cheveux blonds et legers;
avec la tendresse promise dans le sourire qu'elle m'avait adresse de la
baignoire de sa cousine. Je suivrais le chemin que Francoise m'avait dit
que prenait la duchesse et je tacherais pourtant, pour retrouver deux
jeunes filles que j'avais vues l'avant-veille, de ne pas manquer la
sortie d'un cours et d'un catechisme. Mais, en attendant, de temps a
autre, le scintillant sourire de Mme de Guermantes, la sensation de
douceur qu'il m'avait donnee, me revenaient. Et sans trop savoir ce que
je faisais, je m'essayais a les placer (comme une femme regarde l'effet
que ferait sur une robe une certaine sorte de boutons de pierrerie qu'on
vient de lui donner) a cote des idees romanesques que je possedais
depuis longtemps et que la froideur d'Albertine, le depart premature de
Gisele et, avant cela, la separation voulue et trop prolongee d'avec
Gilberte avaient liberees (l'idee par exemple d'etre aim
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