de son enfance, le lit ou etait morte sa mere, et qu'elle
voyait encore. Mais malgre tout cela, des qu'elle etait entree a Paris a
notre service, elle avait partage--et a plus forte raison toute autre
l'eut fait a sa place--les idees, les jurisprudences d'interpretation
des domestiques des autres etages, se rattrapant du respect qu'elle
etait obligee de nous temoigner, en nous repetant ce que la cuisiniere
du quatrieme disait de grossier a sa maitresse, et avec une telle
satisfaction de domestique, que, pour la premiere fois de notre vie,
nous sentant une sorte de solidarite avec la detestable locataire du
quatrieme, nous nous disions que peut-etre, en effet, nous etions des
maitres. Cette alteration du caractere de Francoise etait peut-etre
inevitable. Certaines existences sont si anormales qu'elles doivent
engendrer fatalement certaines tares, telle celle que le Roi menait a
Versailles entre ses courtisans, aussi etrange que celle d'un pharaon ou
d'un doge, et, bien plus que celle du Roi, la vie des courtisans. Celle
des domestiques est sans doute d'une etrangete plus monstrueuse encore
et que seule l'habitude nous voile. Mais c'est jusque dans des details
encore plus particuliers que j'aurais ete condamne, meme si j'avais
renvoye Francoise, a garder le meme domestique. Car divers autres purent
entrer plus tard a mon service; deja pourvus des defauts generaux des
domestiques, ils n'en subissaient pas moins chez moi une rapide
transformation. Comme les lois de l'attaque commandent celles de la
riposte, pour ne pas etre entames par les asperites de mon caractere,
tous pratiquaient dans le leur un rentrant identique et au meme endroit;
et, en revanche, ils profitaient de mes lacunes pour y installer des
avancees. Ces lacunes, je ne les connaissais pas, non plus que les
saillants auxquels leur entre-deux donnait lieu, precisement parce
qu'elles etaient des lacunes. Mais mes domestiques, en se gatant peu a
peu, me les apprirent. Ce fut par leurs defauts invariablement acquis
que j'appris mes defauts naturels et invariables, leur caractere me
presenta une sorte d'epreuve negative du mien. Nous nous etions beaucoup
moques autrefois, ma mere et moi, de Mme Sazerat qui disait en parlant
des domestiques: "Cette race, cette espece." Mais je dois dire que la
raison pourquoi je n'avais pas lieu de souhaiter de remplacer Francoise
par quelque autre est que cette autre aurait appartenu tout autant et
inevitablement a la race generale
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