--qui a ce moment-la, et particulierement
M. de Palancy, furent les hommes que j'aurais le plus aime etre--un
bonjour familier de vieille amie, allusion a l'au jour le jour de ses
relations avec eux depuis quinze ans. Je ressentais le mystere, mais ne
pouvais dechiffrer l'enigme de ce regard souriant qu'elle adressait a
ses amis, dans l'eclat bleute dont il brillait tandis qu'elle
abandonnait sa main aux uns et aux autres, et qui, si j'eusse pu en
decomposer le prisme, en analyser les cristallisations, m'eut peut-etre
revele l'essence de la vie inconnue qui y apparaissait a ce moment-la.
Le duc de Guermantes suivait sa femme, les reflets de son monocle, le
rire de sa dentition, la blancheur de son oeillet ou de son plastron
plisse, ecartant pour faire place a leur lumiere ses sourcils, ses
levres, son frac; d'un geste de sa main etendue qu'il abaissa sur leurs
epaules, tout droit, sans bouger la tete, il commanda de se rasseoir aux
monstres inferieurs qui lui faisaient place, et s'inclina profondement
devant le jeune homme blond. On eut dit que la duchesse avait devine que
sa cousine dont elle raillait, disait-on, ce qu'elle appelait les
exagerations (nom que de son point de vue spirituellement francais et
tout modere prenaient vite la poesie et l'enthousiasme germaniques)
aurait ce soir une de ces toilettes ou la duchesse la trouvait
"costumee", et qu'elle avait voulu lui donner une lecon de gout. Au lieu
des merveilleux et doux plumages qui de la tete de la princesse
descendaient jusqu'a son cou, au lieu de sa resille de coquillages et de
perles, la duchesse n'avait dans les cheveux qu'une simple aigrette qui
dominant son nez busque et ses yeux a fleur de tete avait l'air de
l'aigrette d'un oiseau. Son cou et ses epaules sortaient d'un flot
neigeux de mousseline sur lequel venait battre un eventail en plumes de
cygne, mais ensuite la robe, dont le corsage avait pour seul ornement
d'innombrables paillettes soit de metal, en baguettes et en grains, soit
de brillants, moulait son corps avec une precision toute britannique.
Mais si differentes que les deux toilettes fussent l'une de l'autre,
apres que la princesse eut donne a sa cousine la chaise qu'elle occupait
jusque-la, on les vit, se retournant l'une vers l'autre, s'admirer
reciproquement.
Peut-etre Mme de Guermantes aurait-elle le lendemain un sourire quand
elle parlerait de la coiffure un peu trop compliquee de la princesse,
mais certainement elle declarerait que
|