acte de _Phedre_, ma grand'mere obtint que mon pere me donnat
cette place.
A vrai dire je n'attachais aucun prix a cette possibilite d'entendre la
Berma qui, quelques annees auparavant, m'avait cause tant d'agitation.
Et ce ne fut pas sans melancolie que je constatai mon indifference a ce
que jadis j'avais prefere a la sante, au repos. Ce n'est pas que fut
moins passionne qu'alors mon desir de pouvoir contempler de pres les
parcelles precieuses de realite qu'entrevoyait mon imagination. Mais
celle-ci ne les situait plus maintenant dans la diction d'une grande
actrice; depuis mes visites chez Elstir, c'est sur certaines
tapisseries, sur certains tableaux modernes, que j'avais reporte la foi
interieure que j'avais eue jadis en ce jeu, en cet art tragique de la
Berma; ma foi, mon desir ne venant plus rendre a la diction et aux
attitudes de la Berma un culte incessant, le "double" que je possedais
d'eux, dans mon coeur, avait deperi peu a peu comme ces autres "doubles"
des trepasses de l'ancienne Egypte qu'il fallait constamment nourrir
pour entretenir leur vie. Cet art etait devenu mince et minable. Aucune
ame profonde ne l'habitait plus.
Au moment ou, profitant du billet recu par mon pere, je montais le grand
escalier de l'Opera, j'apercus devant moi un homme que je pris d'abord
pour M. de Charlus duquel il avait le maintien; quand il tourna la tete
pour demander un renseignement a un employe, je vis que je m'etais
trompe, mais je n'hesitai pas cependant a situer l'inconnu dans la meme
classe sociale d'apres la maniere non seulement dont il etait habille,
mais encore dont il parlait au controleur et aux ouvreuses qui le
faisaient attendre. Car, malgre les particularites individuelles, il y
avait encore a cette epoque, entre tout homme gommeux et riche de cette
partie de l'aristocratie et tout homme gommeux et riche du monde de la
finance ou de la haute industrie, une difference tres marquee. La ou
l'un de ces derniers eut cru affirmer son chic par un ton tranchant,
hautain, a l'egard d'un inferieur, le grand seigneur, doux, souriant,
avait l'air de considerer, d'exercer l'affectation de l'humilite et de
la patience, la feinte d'etre l'un quelconque des spectateurs, comme un
privilege de sa bonne education. Il est probable qu'a le voir ainsi
dissimulant sous un sourire plein de bonhomie le seuil infranchissable
du petit univers special qu'il portait en lui, plus d'un fils de riche
banquier, entrant a ce moment au theat
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