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encore prete, couvait un instant de ses regards dedaigneux et passionnes
la voiture attelee, et, cet instant d'attention une fois donne par ses
yeux aux choses de la terre, les levait au ciel dont elle avait d'avance
devine la purete en sentant la douceur de l'air et la chaleur du soleil;
et elle regardait a l'angle du toit la place ou, chaque printemps,
venaient faire leur nid, juste au-dessus de la cheminee de ma chambre,
des pigeons pareils a ceux qui roucoulaient dans sa cuisine, a Combray.
--Ah! Combray, Combray, s'ecriait-elle. (Et le ton presque chante sur
lequel elle declamait cette invocation eut pu, chez Francoise, autant
que l'arlesienne purete de son visage, faire soupconner une origine
meridionale et que la patrie perdue qu'elle pleurait n'etait qu'une
patrie d'adoption. Mais peut-etre se fut-on trompe, car il semble qu'il
n'y ait pas de province qui n'ait son "midi" et, combien ne
rencontre-t-on pas de Savoyards et de Bretons chez qui l'on trouve
toutes les douces transpositions de longues et de breves qui
caracterisent le meridional.) Ah! Combray, quand est-ce que je te
reverrai, pauvre terre! Quand est-ce que je pourrai passer toute la
sainte journee sous tes aubepines et nos pauvres lilas--en ecoutant les
pinsons et la Vivonne qui fait comme le murmure de quelqu'un qui
chuchoterait, au lieu d'entendre cette miserable sonnette de notre jeune
maitre qui ne reste jamais une demi-heure sans me faire courir le long
de ce satane couloir. Et encore il ne trouve pas que je vais assez vite,
il faudrait qu'on ait entendu avant qu'il ait sonne, et si vous etes
d'une minute en retard, il "rentre" dans des coleres epouvantables.
Helas! pauvre Combray! peut-etre que je ne te reverrai que morte, quand
on me jettera comme une pierre dans le trou de la tombe. Alors, je ne
les sentirai plus tes belles aubepines toutes blanches. Mais dans le
sommeil de la mort, je crois que j'entendrai encore ces trois coups de
la sonnette qui m'auront deja damnee dans ma vie.
Mais elle etait interrompue par les appels du giletier de la cour,
celui qui avait tant plu autrefois a ma grand'mere le jour ou elle etait
allee voir Mme de Villeparisis et n'occupait pas un rang moins eleve
dans la sympathie de Francoise. Ayant leve la tete en entendant ouvrir
notre fenetre, il cherchait deja depuis un moment a attirer l'attention
de sa voisine pour lui dire bonjour. La coquetterie de la jeune fille
qu'avait ete Francoise affinait alors pou
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