st-ce que, par hasard, tu te figures que je ne veux pas une des
premieres epreuves?"
N'oublie pas de porter un _Gribouille_ a Camille et d'envoyer une
epreuve de mon portrait, quand ca se pourra, a Clotilde et a ma tante.
[1] Sobriquet du peintre Villevieille, paysagiste distingue, mort
tout jeune.
CCCXXIII
A M. CHARLES PONCY, A TOULON
Nohant, 25 decembre 1850.
Cher enfant,
Je suis toute malade depuis quinze jours et'accablee d'une grosse
correspondance pour la piece qu'on va jouer a Paris un de ces jours. Je
dois m'y rendre aussitot apres la premiere representation, si la piece
ne tombe pas; auquel cas je n'ai pas besoin de m'en occuper plus apres
qu'auparavant. Mais, pour le moment, il faut repondre a mille questions
de detail, et j'en ai la tete cassee. J'aime bien a ecrire, a composer;
j'aime bien mon art, mais je n'en aime pas le metier, et tout ce qui est
relatif a l'execution materielle m'est odieux. J'ai un ami devoue, et
des plus competents, qui s'en occupe a ma place et qui joue meme le
principal role, bien qu'il ait renonce au theatre.
C'est Bocage, qui se donne un mal affreux pour moi, et que je suis
obligee de seconder par correspondance, n'ayant pas le courage de me
fourrer en personne dans cette petaudiere.
Maurice est a Paris, qui fait de la peinture et attend l'Exposition
(laquelle s'ouvre aujourd'hui). Je suis seule ici avec le petit Lambert,
que vous ne connaissez pas, je crois, quoiqu'il soit avec nous depuis
six ans. Mais je crois qu'il etait absent quand vous etes venu. C'est le
plus gentil de mes enfants, et il a beaucoup de talent pour la peinture.
Mais nous sommes comme des corps sans ame quand Maurice n'est pas ici.
Je travaille tant que je peux, mais je ne peux guere, etant souffrante
et sans cesse interrompue par des lettres pressees, et mille details
d'affaires et d'interieur. Les artistes et les poetes n'ont jamais le
temps de faire ce qu'ils preferent a toute autre occupation, soyez-en
convaincu. Les banalites du monde en distrayent beaucoup. Les soins de
l'interieur, qui ne sont, apres tout, que les soucis et les devoirs de
la famille, en derangent d'autres qui n'ont pourtant pas a se faire le
reproche de sacrifier aux vanites d'ici-bas.
Vous enragez, vous, avec vos chiffres et cette dure necessite de penser
au pain du corps avant celui de l'ame! C'est peut-etre un rude bienfait
de la Providence, qui nous prive de nos j
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