a l'autre et
nous le pensons bien profondement. Pourtant, cette idee de separation
ici-bas repugne a la nature, et le coeur saigne malgre lui. Que Dieu
nous donne la force de _croire_ assez pour que cette douleur ne soit pas
le desespoir! Mais enfin, fut-elle le desespoir, acceptons tout. L'ame a
ses agonies et doit subir ses tortures, comme le corps.
Il faut que je vous dise maintenant que, depuis trois semaines, je suis
fort tourmentee et indignee a cause de vous. Imaginez-vous que j'ai
traduit en francais voire lettre au pape, et que je l'ai accompagnee
de reflexions qui, loin d'etre violentes et subversives, sont, au
contraire, chretiennes et vraies. J'ai envoye tout cela a Paris, pour
que mes amis le fissent publier dans un journal. Je crois que la
_Reforme_, qui est dans nos idees plus que les autres, l'aurait accepte
sans objection; mais la _Reforme_ n'a qu'un petit nombre de lecteurs, et
je tenais a ce que votre lettre eut un certain retentissement en
France, surtout dans un moment ou notre Assemblee vient de discuter
si pauvrement la question italienne, et ou le jesuite Montalembert et
autres cerveaux despotiques et etroits vous ont personnellement lance
leur anatheme meprisable. Je tenais beaucoup a montrer que ces beaux
chretiens etaient des heretiques, et vous un chretien beaucoup plus
sincere et plus orthodoxe. Eh bien, le _Siecle_ a garde mon manuscrit
quinze jours et a fini par le rendre, en disant qu'il manquait de
place pour le publier; ce qui n'est qu'un pretexte pour eviter de se
compromettre dans l'esprit des bourgeois voltairiens. On a porte votre
lettre et mes reflexions au _Constitutionnel_, qui a promis de les
inserer, mais qui les tient depuis plusieurs jours sans en rien faire.
De sorte que j'ignore si, comme le _Siecle_, il ne se ravisera pas. J'ai
ecrit hier pour leur dire que, s'ils etaient _effrayes_ de mes idees, je
les autorisais a les supprimer entierement, pourvu qu'ils publiassent ma
traduction de votre lettre. Nous verrons s'ils auront un peu de coeur et
de courage; mais je suis honteuse pour la presse francaise non seulement
que vous n'y ayez pas un defenseur spontane, mais encore qu'on ait tant
de peine a laisser entendre une voix qui s'eleve dans le desert pour
dire que vous n'etes ni un jacobin ni un impie.
Au reste, notre ami Borie, que vous avez vu chez moi, a pris plusieurs
fragments de cette traduction et a fait de son cote un bon article,
qu'il a envoye au _Journal du Loi
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