-Grand, 33.
Je ne veux pas encore perdre l'esperance de vous voir ici avec votre
pere. Il me disait, ces jours-ci, qu'il y ferait son possible, a
condition d'etre embrasse de bon coeur. Dites-lui-que je ne suis plus
d'age a le priver et a me priver moi-meme d'une si sincere marque
d'amitie et que je compte bien le recevoir a bras ouverts. Si, tous
deux, vous me privez de ce plaisir, au revoir donc a Paris, le mois
prochain, si vous n'etes pas repartis pour quelque Silesie ou autres
environs.
Avant de vous serrer ici la main, en remerciement de votre bonte pour
moi, je veux vous la serrer d'une maniere toute desinteressee pour le
joli livre que je suis en train de lire[1]. C'est charmant de retrouver
Charlotte et Manon et Virginie et tous ces etres qu'on aime tant et
qu'on a tant pleures! L'idee est neuve, singuliere et parait cependant
toute naturelle a mesure qu'on lit. Il est impossible de s'en tirer plus
adroitement et plus simplement. Si vous me gardez Paul et Virginie purs
et fideles, comme je l'espere, je vous remercierai doublement du plaisir
de cette lecture. Vous avez reussi a faire parler Goethe sans qu'on s'en
offusque. Au fait, il n'etait pas meilleur que cela, et vous ne lui
donnez pas moins de grandeur et d'esprit qu'il n'en savait avoir.
J'entends crier un peu contre la hardiesse de votre sujet; mais, jusqu'a
present, je n'y trouve rien qui profane, rabaisse ou vulgarise ces types
aimes ou admires. J'attends la fin avec impatience. Adieu encore, et, de
toute facon, a bientot, et a vous de coeur.
GEORGE SAND.
[1] _Le Regent Mustel_.
CCCXIII
A M. ARMAND BARBES, A DOULLENS
Nohant, 27 aout 1850
Mon ami bien-aime,
Je n'ai recu qu'il y a deux jours votre lettre du 5 courant. J'avais
aussitot resolu d'aller a Londres, d'y voir nos amis et d'essayer de
faire ce que vous me conseillez. Mais des empechements majeurs sont
survenus deja, et je ne saurais m'assurer de quelques jours de liberte.
Et puis il s'est passe deja trop de jours depuis votre lettre, et chacun
doit avoir pris son parti. J'ai pourtant ecrit a Louis Blanc, le seul
sur lequel j'espere avoir non pas de l'influence morale, mais la
persuasion du coeur et de l'amitie. Je lui ai parle de vous et j'ai
appuye votre opinion sur la connaissance que j'ai du fait principal;
c'est-a-dire qu'a lui seul il ne peut rien quant a present. Je l'ai
conjure, pour le cas ou il croirait devoir repondre, et ou
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