suis pas dans la position des proprietaires aises, qui peuvent toujours
emprunter tant qu'ils ont un petit capital au soleil. Je suis femme,
c'est-a-dire _mineure_, separee de mon mari legalement, et cependant
toujours sous sa dependance pour les affaires d'argent, tant les
lois protegent mon sexe! _Je ne peux pas donner d'hypotheque sur ma
propriete_. Forcee d'emprunter pour les autres, dans des moments
difficiles, je ne l'ai pu qu'en me servant, pour sauver mes amis et mes
parents pauvres, de la caution d'autres parents moins pauvres. Mais
cette caution les expose a perdre leur argent, si je meurs sans avoir
paye. Mon mari et mon gendre n'auraient aucun scrupule d'invoquer la
loi, et de leur laisser tout perdre. L'honneur de Maurice serait leur
refuge; mais Maurice aussi peut mourir. Il y a donc danger pour qui me
prete, et ces amis moins pauvres dont je vous parle sont loin d'etre
riches. Ma conscience m'ordonne donc d'eteindre toutes mes dettes
aussitot que je recois quelque argent de mes editeurs. Et voila comme
quoi je tire toujours le diable par la queue. Me voici dans une de ces
crises financieres qui se renouvellent deux ou trois fois par an. D'ici
a quinze jours, il faut que je ramasse, en redemandant, a droite et a
gauche, ce qu'on me doit en detail, et j'espere arriver a faire cette
somme de dix mille francs. Et puis il faut payer aussi les interets. Mes
rentrees ne sont pas toutes certaines, il s'en faut! Je ne sais donc
pas si je pourrai disposer de quatre cents francs a la fois. Je vous en
garantis cent pour un pressant besoin, et le reste peu a peu. Est-ce
que votre imprimeur ne peut vous faire cette avance? Hetzel va revenir
d'Allemagne. S'il est a meme de payer ce qu'il me redoit, cela ira tout
seul. Mais le sera-t-il? J'arrive de Paris, ou lesdites affaires m'ont
forcee d'aller chercher un recouvrement qui m'a manque. Je ne suis
revenue que depuis deux jours. C'est ce qui vous explique le retard de
ma reponse.
J'ai deux pieces de theatre en portefeuille. Le succes du _Champi_ m'a
mise en passe de gagner de l'argent. Le Theatre-Francais et tous les
autres theatres m'ont fait des offres, avec promesses de primes payees
d'avance. Tout cela est bien joli. Mais j'ai tout refuse pour attendre
que Bocage, qui est destitue arbitrairement, persecute injustement, et
que la reaction voudrait ruiner, ait acquis la direction d'un autre
theatre (non subventionne) ou qu'il remonte sur les planches comme
artiste, e
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