de ma vie est en moi. Il est dans
ma secrete appreciation de toutes ces choses qui paraissent si
divertissantes et qui font vibrer dans le fond de mon ame des cordes si
lugubres. Rassurez-vous donc, je porte bien mon costume et personne que
vous peut-etre ne se doutera jamais, que je me meurs de chagrin.
Vous etes content, vous, dans ce moment-ci, n'est-ce pas? Nos elections
sont bonnes et tous mes amis sont pleins de joie et d'esperance. Ils
disent, et je pense qu'ils ont raison, que nous irons sans secousse
jusqu'aux prochaines elections generales et qu'alors la majorite sera
dans le sens de l'avenir republicain. Je le crois aussi. Mais cela ne
rendra pas la vie a ceux, qui sont morts victimes de l'ignorance et de
l'indecision des masses; vous acceptez la loi du malheur, vous etes
religieux.
Il se peut qu'en fin de compte, je sois impie, puisque je ne peux pas me
soumettre au mal accompli, a ce passe que Dieu lui-meme ne peut reparer,
puisqu'il ne peut le reprendre, et qui saigne toujours en moi comme une
blessure incurable.
Cher ami, ne perdez pas votre temps a repondre a mes tristes lettres
et a refuter ce que vous regardez comme mes heresies. Aimez-moi, et
envoyez-moi deux lignes quand vous avez le temps, pour me parler de vous
et me dire que vous vous souvenez de moi.
CCCXI
AU MEME
Nohant, 4 aout 1850.
Cher, j'ai recu la trop courte visite de votre jeune et jolie amie
Caroline. Je sais que sa soeur est ou a du etre aupres de vous. Qu'elles
sont heureuses, ces Anglaises, de pouvoir courir ou le coeur les pousse!
Cela vous a donne un peu de bonheur et de consolation. Vous n'avez pas
besoin qu'on vous dise que vous etes aime, estime, venere; mais vous
etes sensible a l'affection, parce que vous la ressentez en vous-meme.
Caroline m'a paru charmante. Elle m'a dit qu'Elisa etait heureuse. Elles
voient a Londres Louis Blanc, qui aime et estime infiniment toute la
famille. Elisa me parle d'un journal ou vous desirez que j'ecrive. J'y
ferai mon possible; mais je doute d'ecrire desormais quelque chose qui
ait le sens commun. J'ecris mes _Memoires_, parce que j'y parle du passe
ou j'ai vecu. Aujourd'hui, on ne vit plus en France; on est comme frappe
de stupeur au bord d'un abime, sans pouvoir faire un mouvement pour le
fuir. Heureusement, cette stupeur meme empechera peut-etre qu'on ne
fasse un mouvement pour s'y jeter; mais que la vie qui s'ecoule ainsi
est lente et
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