aterielle qui
resistait a tous les coups. A present, je n'aurai qu'a me laisser faire
pour m'en aller tout doucement et sans crime, puisque, selon vous, c'est
un crime de s'en aller volontairement. Je persiste a croire que nous
avons tous cette liberte, ce droit de protester contre la vie, telle que
l'ont faite les erreurs et les mauvaises passions des societes fausses
et injustes. Et, quand beaucoup de nous auraient suivi mon exemple, ou
eut ete le mal? Tous ces suicides qui ont marque les annees scandaleuses
et impies de l'empire romain ne sont-ils pas une protestation qui a son
importance et qui a eu son effet?
Quand les premiers chretiens se jeterent dans les thebaides, n'etait-ce
pas une maniere de se tuer et de protester contre la corruption et les
violences des societes? Et quand ce peuple, qui oublie ses martyrs en
prison et dans l'exil, apprendrait que Barbes et autres ont mis fin a
des jours intolerables, ou serait le mal encore une fois? Moi, je
suis toujours plus frappee des actes de desespoir que des resistances
heroiques, et j'ai plus appris a hair l'injustice en voyant la mort
volontaire de certains anciens qu'en lisant les ecrits des inebranlables
stoiques.
Mais laissons ce morne chapitre, qui ne vous convaincrait pas, puisque
vous appreciez tout cela avec un autre sentiment Ce sentiment est plus
puissant que tous les raisonnements du monde. D'ailleurs, je n'aurai pas
la force que j'ambitionne, je ne me tuerai pas. Se tuer n'est rien, sans
doute; mais s'endurcir contre les larmes de quelques etres qui ne vivent
que par vous, c'est la ce qui me manquera probablement. Et puis a quoi
bon, puisqu'on meurt sans cela?
Ne vous tourmentez pas et ne vous affligez pas des lettres que je vous
ecris. Les lettres, surtout les lettres espacees, sont plus sombres que
la vie courante, parce qu'elles resument certain sentiment supreme,
certaine conclusion fatale qui se trouve au bout de tout, quand on
se recueille pour ouvrir a un ami le fond de son coeur. Dans la vie
courante, rien ne parait. On a des habitudes de gaiete, parce qu'en
France surtout la gaiete, la legerete apparente est comme une loi de
savoir-vivre. Dans certains milieux particulierement, il faut toujours
savoir rire avec ceux qui rient. Je vis presque toujours avec des
artistes, avec des personnes jeunes; on _s'amuse chez moi_ et j'y suis
toujours gaie.
J'y suis heureuse et tres tranquille si l'on n'apprecie que les
relations apparentes. Le mal
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