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s'etait faite en lui et autour de lui, il se sentait gai, dispos; le
ciel, de gris qu'il etait, avait instantanement passe au bleu; cette
verdure qui l'entourait etait aussi fraiche aux yeux qu'a l'esprit, ce
paysage entoure de montagnes aux sommets sombres etait charmant; cette
chaude journee d'ete le penetrait de bien-etre; ce pays de Bade etait le
plus gracieux de la terre; il etait heureux de se retrouver au milieu
de ce monde; comme les yeux de ces femmes, c'est-a-dire de cette jeune
fille ressemblaient peu aux yeux noirs, cuivres, allonges, arrondis
qu'il avait vus dans son voyage.
C'etait tout en marchant sans rien regarder autour de lui qu'il suivait
l'eveil de ces sensations; il allait arriver au bout de sa promenade
et revenir sur ses pas, lorsqu'un nom, le sien, prononce a mi-voix le
frappa:
--Roger!
Il tourna les yeux du cote d'ou cette voix, qui avait resonne dans son
coeur, etait partie.
La secousse qui l'avait frappe ne l'avait point trompe: c'etait elle;
c'etait madame d'Arvernes, qui l'appelait; le dernier mot qu'elle
avait crie lorsqu'ils s'etaient separes, son nom, etait celui qu'elle
prononcait apres une si longue absence, comme si toujours, depuis qu'il
s'etait eloigne emporte par le _Rosario_, elle l'avait repete. Cet appel
le remua, et durant quelques secondes il resta abasourdi.
Mais il n'y avait pas a hesiter; elle etait la, le regardant, penchee
en avant, a demi soulevee sur sa chaise. Il alla a elle, sans bien voir
quelle etait l'expression vraie de ce visage emu.
Comme il approchait, elle lui tendit les deux mains:
--Vous ici!
--J'arrive.
--Et moi aussi. Quel bonheur!
Il avait la main dans celles qu'elle lui tendait, et il restait incline
vers elle, n'osant trop ni la regarder, ni parler.
Autour d'eux un mouvement de curiosite s'etait produit, tant avait ete
vif l'elan de leur abord; des centaines d'yeux les examinaient avidement
et deja les oreilles s'ouvraient pour ecouter les paroles qu'ils
allaient echanger; madame d'Arvernes eut conscience de ce qui se
passait, et bien que par principe et par habitude elle ne prit jamais
souci de ceux qui l'entouraient, elle jugea que ce n'etait pas le moment
de se donner en spectacle.
--Votre bras? dit-elle a Roger.
En meme temps qu'elle s'etait levee et, sans attendre sa reponse, elle
lui avait pris le bras.
Ils s'eloignerent, au grand ebahissement des curieux desappointes.
Tout d'abord ils marcherent silencieux
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