s dire qu'il croyait, meme pour obtenir Berengere.
C'etait la une fatalite de leur situation, en presence de laquelle il se
trouvait desarme et impuissant.
Et il se reprocha sa faiblesse et sa faute, qui avaient ete d'autant
plus grandes qu'au moment meme ou il avait reconnu qu'il etait attire
vers Berengere par un sentiment plus vif que la sympathie, il avait
nettement vu ce qu'il adviendrait de cet amour.
Il avait alors fait son examen de conscience, et sous le saule pleureur
de son jardin, au bord de la riviere, il avait passe toute une soiree a
suivre les caprices de son imagination qui, s'envolant par-dessus les
prairies noyees dans les vapeurs de la nuit, etaient retournees a la
Rouvraye aupres de Berengere. C'etait la qu'il s'etait avoue quelle
impression profonde cette charmante enfant avait produite sur son coeur.
C'etait la qu'il s'etait dit qu'elle serait une femme delicieuse.
C'etait la enfin qu'il avait admis pour la premiere fois l'idee du
mariage a laquelle, jusqu'a ce jour, il n'avait jamais pense. Mais ne se
faisant aucune illusion, il avait sincerement reconnu qu'il ne pouvait
etre le mari de Berengere et qu'entre elle et lui, il y aurait toujours
un abime.
Il se rappelait parfaitement le mouvement de colere qui, a ce moment,
l'avait agite, et il voyait encore la place, dans la riviere, ou il
avait jete son cigare.
Cependant, bien qu'il eut mesure la profondeur de cet abime, il s'etait
laisse entrainer par cet amour naissant; au lieu de l'etouffer d'une
main vigoureuse, il l'avait caresse; au lieu de fuir Berengere, il
l'avait recherchee, et il s'etait hypocritement demande si c'etait
vraiment une folie d'aimer cette jeune fille; les raisons _raisonnables_
tirees de la situation du comte et surtout de ses croyances lui avaient
repondu: "Oui"; les raisons _sentimentales_ lui avaient repondu: "Non."
Et c'etait seulement a celles-la qu'il s'etait arrete, repoussant les
autres, ne les ecoutant pas. Il avait vu l'avenir rempli de luttes et de
souffrances, et neanmoins il avait accepte cet avenir, se disant qu'il
lutterait, qu'il souffrirait, mais au moins qu'il vivrait.
Et il avait vecu, delicieusement vecu, aimant Berengere, aimant son
amour,--ne demandant rien, heureux du present et fermant les yeux a ce
qui pourrait se produire le lendemain.
Ce lendemain etait arrive et maintenant il fallait mourir.
Eh bien, il mourrait!
S'il avait ete hypocrite avec lui-meme, au moins ne le serait-il
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