e, on ne peut voguer qu'a travers des
abimes ou l'on dispute sa vie sur une frele ecorce, entre des
tourbillons capables de perdre de grands vaisseaux.
A mesure que l'expedition remontait, elle pouvait contempler, jusqu'aux
extremites de l'horizon, ces forets immenses qui n'etaient pas encore
exploitees et qui presentaient la variete des plus beaux arbres, a
l'etat plusieurs fois seculaire. Ce que l'on ne trouve plus qu'en
remontant a de grandes distances, on le voyait alors a proximite, du
Montreal et du lac Chaudiere. On trouvait des vallees, des montagnes
couvertes de la vegetation la plus abondante et la plus extraordinaire,
jusqu'a porte de vue, et avec une continuite si suivie dans toutes les
directions, qu'elle faisait dire aux voyageurs du temps que "le Canada
n'etait qu'une foret." En meme temps, la densite de cette masse de
verdure etait si grande avec son enchevetrement de branches, de plantes
grimpantes et de lianes, qu'on ne voyait sur sa tete, pendant des lieues
et des journees entieres de marche, qu'un dome continu d'arbres sans la
moindre echappee de ciel.
Depuis ce temps, l'exploitation a commence a s'etendre, et elle a
continue depuis deux siecles avec une activite toujours croissante, en
sorte que, actuellement, elle produit chaque annee cent millions de
francs de revenu. L'aspect du pays a donc pu changer, et, malgre cela, a
20 lieues de Montreal et d'Ottawa et a 10 lieues de Mattawa, on trouve
encore des traces de la foret primitive, avec ses troncs seculaires et
ses proportions gigantesques.
Pendant la marche, l'expedition pouvait contempler des varietes
singulieres. Sur certaines montagnes, au cote sud, on voyait la neige
disparue et les premieres pousses de la vegetation naissante; et pendant
ce temps-la, au cote nord, les arbres etaient revetus encore d'une
imperissable blancheur, et couverts de cristaux et de stalactites
resplendissant aux feux du jour.
Ce n'etait pas sans peine que l'on affrontait ces immensites: tantot il
fallait traverser des berceaux de branches penchees sur la riviere de
maniere a intercepter la navigation; ensuite, lorsque l'on recourait
aux portages, souvent on rencontrait sur les rives des arbres brises
et couches que l'on ne pouvait franchir qu'en se glissant, en rampant
presque, pendant des distances considerables.
C'est la qu'on voyait dans toute leur realite ces aspects etranges
decrits par Parkman:
Ici, des arbres renverses par la tempete s
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