edoutable createur de poisons.
Il s'assit pres de la table de marbre a laquelle il s'accouda, et
examina le corps de son fils: il etait laboure de coups de poignard dont
plusieurs avaient penetre jusqu'aux sources de la vie; la poitrine, les
epaules, le cou etaient zebres de longues plaies entrouvertes. La tete
avait conserve une serenite remarquable. Evidemment, Marillac ne s'etait
pas apercu qu'on le tuait. Le premier coup, qui lui avait ete porte au
moment ou il descendait vers Alice, avait du le foudroyer. Les paupieres
etaient legerement soulevees. Ruggieri essaya en vain de les fermer et,
n'y parvenant pas, il jeta sur le visage un mouchoir de fine batiste
parfumee qu'il avait trouve dans le pourpoint du mort et qui etait au
chiffre d'Alice.
Ruggieri n'etait nullement emu.
La douleur paternelle disparaissait dans l'effort cerebral du savant.
Et cet effort devait etre enorme. Car, pendant plusieurs heures, le mage
demeura petrifie dans une immobilite telle qu'on l'eut pris pour un
autre cadavre, si une espece de tremblement n'eut parfois agite ses
mains. Il etait d'ailleurs aussi pale que le mort qu'il etudiait. Mais
ses yeux laissaient echapper une flamme ardente.
A un moment de cette sinistre meditation, il bredouilla quelques mots:
"Il a perdu tout son sang... l'operation n'en est-elle pas
simplifiee?... je recoudrai toutes ces plaies, sauf une... celle-ci...
qui a ouvert la carotide... c'est par la que je dois faire la
transfusion..."
A un autre moment de la journee, il murmura:
"Nostradamus ne m'a-t-il pas affirme qu'il avait oblige le corps astral
d'un de ses enfants a demeurer pres de lui pendant plus d'un mois?...
Et, moi-meme, n'ai-je pas vu tressaillir a diverses reprises les
cadavres que je voulais ranimer? Est-ce que le corps astral n'etait pas
la, alors, qui essayait de reintegrer sa demeure charnelle?"
A l'heure ou la nuit commencait a tomber, Ruggieri se leva brusquement,
courut a une vaste armoire pleine de livres et de manuscrits, et il se
mit a la fouiller febrilement.
Il tremblait convulsivement et repetait:
"Oh! je le trouverai... je le trouverai...."
Au bout de deux heures, ayant jonche le parquet de papiers et de volumes
epars, il finit par mettre la main sur ce qu'il cherchait: c'etait un
livre qui ne contenait guere qu'une cinquantaine de pages. Les pages
etaient moisies. Les caracteres de l'ecriture etaient hebraiques.
Lentement, Ruggieri se mit a le feuilleter.
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