egrammes a sensation d'un bouillant Kaiser,
momentanement oublieux des egards qui sont dus a une vieille
grand'mere... quelle que soit sa condition sociale.
Le reveil de l'Europe, a l'heure ou nous voici, n'aurait assurement rien
de premature, mais la condition physiologique la plus necessaire pour
se reveiller, c'est de ne pas etre mort. Il faudrait donc au prealable
s'assurer si dame Europe est defunte, ou si elle est seulement assoupie.
L'Europe existe-t-elle encore autrement que sur la carte? sur la carte
ou l'on voit juxtaposees des nations, dont les deux plus considerables
sont separees par un abime de ressentiments que rien ne saurait
combler,--rien, helas! de ce qu'il est permis d'attendre d'un
consentement pacifique. Au centre: un groupement compact de nationalites
dont la cohesion peut etre subitement aneantie par la disparition d'une
dynastie; sur les cotes: deux grands peuples qu'unissent a travers
l'espace des liens dont la solidite n'a pas encore ete soumise au
controle d'une epreuve decisive.
Aveuglee par le tourbillon des craintes et des esperances
particularistes, l'agglomeration europeenne n'a point une vision
suffisamment degagee pour discerner au dehors le peril qui la menace
dans son ensemble et pour reconnaitre l'interet qu'il conviendrait
de soutenir en commun. Il est toutefois incontestable que, depuis un
certain temps, les deux groupes antagonistes, obeissant l'un et l'autre
au seul instinct de la conservation, portent parallelement leurs efforts
vers un unique objectif, qui est la paix de l'Europe; ce n'est un
secret pour personne que, des son origine, la Triplice eut un caractere
exclusivement defensif, prevoyante entreprise de cimentation du bloc
improvise dans l'Europe centrale et longtemps expose a un retour
offensif de ceux a qui l'on en avait arrache la derniere pierre.
Or, en depit de toute vraisemblance et peut-etre aussi de toute logique,
les angoisses, qui, durant une vingtaine d'annees, troublerent le
sommeil des conquerants, se sont apaisees a mesure que se trouvaient
decus les ardents espoirs de la nation mutilee qui, depuis le desastre,
n'a pas eu un gouvernement capable de lui commander le devoir et de lui
imposer la confiance. On a laisse le temps faire son oeuvre et une sorte
de prescription s'etablir, bien qu'il n'en soit aucune d'admissible
pour certains forfaits de l'histoire. Henri Heine reprochait a ses
compatriotes de n'avoir pas encore, a l'heure ou il ecrivait,
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