ensuite la Chartered, soumet le roi Lobengula dans une
campagne energique ou il paie hardiment de sa personne, et subventionne
de ses deniers une revolution a Johannesburg. Ses moyens le lui
permettent: la De Beers et les Goldfields lui ont fait une fortune dont
il use prodigalement, frugal et simple dans le train de sa vie privee,
mais fastueux et insatiable dans ses appetits politiques. Il s'est
trouve que l'affaire de la revolution de Johannesburg etait infiniment
moins payante que le sol du Witwatersrand; la Chartered ne l'a pas
ete davantage jusqu'a present, et l'on a vu la periode des calamites
s'ouvrir presqu'en meme temps que celle des fautes: Job, de mille
tourments atteint, n'eut pas a subir une serie noire aussi prolongee que
celle de M. Cecil Rhodes, qui vit fondre sur sa destinee, dans l'espace
de quelques mois, l'epidemie de fievre la plus meurtriere, la revolte
des Cafres dans la Rhodesia, la _rhinder-pest_ sur le betail, la
perte de sa commandite revolutionnaire et la captivite de Jameson, la
publication du dossier secret dans la campagne contre le Transvaal,
enfin l'obligation de se demettre, en presence du lachage de ses
principaux complices. Tant de ruines accumulees ne l'emotionnerent
pas plus que celle des actionnaires de mines d'or mis a mal par sa
politique, et il n'en perdit pas l'appetit, ni la combativite. Ce fut ce
qui le sauva.
Un detail montrera quel fut a cette epoque l'acharnement du Destin
contre cet homme: en arrivant de Buluwayo au Cap, il trouva sur le quai
du chemin de fer un de ses meilleurs amis qui l'attendait avec une
figure de circonstance:
--Rhodes! un nouveau malheur!
--Quoi donc?
--Votre maison du Cap a brule cette nuit...
(C'etait une somptueuse demeure, ou Rhodes avait accumule des bibelots
de prix, le seul luxe materiel auquel il fut sensible).
--Vous m'avez fait une peur! murmura-t-il sans sourciller, et, apres une
innocente malice sur le compte de l'infortune Jameson, il s'engagea dans
une interminable conversation d'affaires, puis il prit le bateau sans
etre alle visiter les decombres, etant de ceux qui sont trop occupes de
ce qu'il y a devant eux pour regarder en arriere.
Le trait le plus significatif de cet homme de caractere est, je crois,
peu connu: a trente ans, ayant realise a Kimberley l'immense fortune
que l'on sait, il jugea ne pouvoir faire un meilleur emploi du loisir
opulent qui s'offrait a lui qu'en allant passer au college d'Eton le
temps n
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