mais que peut une pauvre fille? Je ne comprends
pas.
-- Donnez-moi encore un peu de poisson, avec du cresson, et je
vais vous l'expliquer. Vous savez que M. Bendit est l'employe
charge de la correspondance etrangere, c'est lui qui traduit les
lettres anglaises et allemandes. Comme maintenant il n'a plus sa
tete, il ne peut plus rien traduire. On voulait faire venir un.
autre employe pour le remplacer; mais comme celui-la pourrait bien
garder la place quand M. Bendit sera gueri, s'il guerit, M. Fabry
et M. Mombleux ont propose de se charger de son travail, afin
qu'il retrouve sa place plus tard. Mais voila qu'hier M. Fabry a
ete envoye en Ecosse, et M. Mombleux est reste embarrasse, parce
que s'il lit assez bien l'allemand, et s'il peut faire les
traductions de l'anglais avec M. Fabry, qui a passe plusieurs
annees en Angleterre, quand il est tout seul, ca ne va plus aussi
bien, surtout quand il s'agit de lettres en anglais dont il faut
deviner l'ecriture. Il expliquait ca a table ou je le servais, et
il disait qu'il avait peur d'etre oblige de renoncer a remplacer
M. Bendit; alors j'ai eu idee de lui dire que vous parliez
l'anglais comme le francais...
-- Je parlais francais avec mon pere, anglais avec ma mere, et
quand nous nous entretenions tous les trois ensemble, nous
employions tantot une langue, tantot l'autre, indifferemment, sans
y faire attention
-- Pourtant je n'ai pas ose; mais maintenant, est-ce que je peux
lui dire cela?
-- Certainement, si vous croyez qu'il peut avoir besoin d'une
pauvre fille comme moi.
-- Il ne s'agit pas d'une pauvre fille ou d'une demoiselle, il
s'agit de savoir si vous parlez l'anglais.
-- Je le parle, mais traduire une lettre d'affaires, c'est autre
chose.
-- Pas avec M. Mombleux qui connait les affaires.
-- Peut-etre. Alors, s'il en est ainsi, dites a M. Mombleux que je
serais bien heureuse de pouvoir faire quelque chose pour
M. Bendit.
-- Je le lui dirai."
La perche, malgre sa grosseur, avait ete devoree, et le cresson
avait aussi disparu. On arrivait au dessert. Perrine se leva et
remplaca les feuilles de berce sur lesquelles le poisson avait ete
servi par des feuilles de nenuphar en forme de coupe, veinees et
vernissees comme eut pu l'etre le plus beau des emaux: puis elle
offrit ses groseilles a maquereau:
"Acceptez donc, dit-elle en riant comme si elle avait joue a la
poupee, quelques fruits de mon jardin.
-- Ou est-il, votre jardin?
-- Sur not
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