un rire general. Une heure s'ecoula ainsi, et la pluie avait
cesse.
--Je ne puis souffrir une femme maussade, disait Gerard a son ami pendant
le retour; il faut avouer que la gaiete est un grand bien; c'est peut-etre
le premier de tous, puisque avec lui on se passe des autres. Ta grisette
a trouve moyen de changer en plaisir une heure d'ennui, et cela seul me
donne meilleure opinion d'elle que si elle avait fait un poeme epique.
Vos amours dureront-ils longtemps?
--Je ne sais, repondit Frederic, affectant la meme legerete que son
compagnon; si elle te plait, tu peux lui faire la cour.
--Tu n'es pas franc, car tu l'aimes et elle t'aime.
--Oui, par caprice, comme autrefois.
--Prends garde a ces caprices-la.
--Suivez-nous donc, messieurs, cria Bernerette, qui galopait en avant avec
Cecile. Elles s'arreterent sur un plateau, et la cavalcade fit une halte.
La lune se levait; elle se degageait lentement des massifs obscurs, et, a
mesure qu'elle montait, les nuages semblaient fuir devant elle. Au-dessous
du plateau s'etendait une vallee ou le vent agitait sourdement une mer de
sombre verdure; le regard n'y distinguait rien, et a six lieues de Paris
on aurait pu se croire devant un ravin de la Foret-Noire. Tout a coup
l'astre sortit de l'horizon; un immense rayon de lumiere glissa sur la
cime des bois et s'empara de l'espace en un instant; les hautes futaies,
les coupes de chataigniers, les clairieres, les routes, les collines se
dessinerent au loin comme par enchantement. Les promeneurs se regarderent,
etonnes et joyeux de se voir.
--Allons, Bernerette, s'ecria Frederic, une chanson!
--Triste ou gaie? demanda-t-elle.
--Comme tu voudras. Une chanson de chasse! l'echo y repondra peut-etre.
Bernerette rejeta son voile en arriere et entonna le refrain d'une
fanfare; mais elle s'arreta tout a coup. La brillante etoile de Venus, qui
scintillait sur la montagne, avait frappe ses yeux; et, comme sous le
charme d'une pensee plus tendre, elle chanta sur un air allemand les vers
suivants, qu'un passage d'Ossian avait inspires a Frederic:
Pale etoile du soir, messagere lointaine,
Dont le front sort brillant des voiles du couchant,
De ton palais d'azur, au sein du firmament,
Que regardes-tu dans la plaine?
La tempete s'eloigne et les vents sont calmes.
La foret qui fremit pleure sur la bruyere.
Le phalene dore, dans sa course legere,
Traverse les pres embaumes.
Que cherches-tu sur la terre
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