) sont encore revenus. Si tu
savais ce qu'on veut faire de moi! C'est trop degoutant d'etre un jouet
de misere et de se voir tirailler ainsi. Quand nous nous sommes aimes
autrefois, si nous avions eu plus d'economie, cela aurait mieux ete. Mais
tu voulais aller au spectacle et nous amuser. Nous avons passe de bonnes
soirees a la Chaumiere.
Adieu, mon cher, pour la derniere fois, adieu. Si je me portais mieux, je
serais rentree au theatre; mais je n'ai plus que le souffle. Ne te fais
jamais reproche de ma mort; je sens bien que, si tu avais pu, rien de tout
cela ne serait arrive; je le sentais, moi, et je n'osais pas le dire; j'ai
vu tout se preparer, mais je ne voulais pas te tourmenter.
C'est par une triste nuit que je t'ecris, plus triste, sois-en sur, que
celle ou tu es venu sonner et ou tu m'as trouvee sortie. Je ne t'avais
jamais cru jaloux; quand j'ai su que tu etais en colere, cela m'a fait
peine et plaisir. Pourquoi ne m'as-tu pas attendue d'autorite? Tu aurais
vu la mine que j'avais en rentrant de ma bonne fortune; mais c'est egal,
tu m'aimais plus que tu ne le disais.
Je voudrais finir, et je ne peux pas. Je m'attache a ce papier comme a un
reste de vie; je serre mes lignes; je voudrais rassembler tout ce que j'ai
de force et te l'envoyer. Non, tu n'as pas connu mon coeur. Tu m'as aimee
parce que tu es bon; c'etait par pitie que tu venais, et aussi un peu pour
ton plaisir. Si j'avais ete riche, tu ne m'aurais pas quittee: voila ce
que je me dis; c'est la seule chose qui me donne du courage. Adieu.
Puisse mon pere ne pas se repentir du mal dont il a ete cause! Maintenant,
je le sens, que ne donnerais-je pas pour savoir quelque chose, pour avoir
un gagne-pain dans les mains! Il est trop tard. Si, quand on est enfant,
on pouvait voir sa vie dans un miroir, je ne finirais pas ainsi; tu
m'aimerais encore; mais peut-etre que non, puisque tu vas te marier.
Comment as-tu pu m'ecrire une lettre aussi dure? Puisque ton pere
l'exigeait et puisque tu allais partir, je ne croyais pas mal faire en
essayant de prendre un autre amant. Jamais je n'ai rien eprouve de pareil
et jamais je n'ai rien vu de si drole que sa figure quand je lui ai
declare que je retournais chez moi.
Ta lettre m'a desolee; je suis restee au coin de mon feu pendant deux
jours, sans pouvoir dire un mot ni bouger. Je suis nee bien malheureuse,
mon ami. Tu ne saurais croire comme le bon Dieu m'a traitee depuis une
pauvre vingtaine d'annees que j
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