soin de peindre son etonnement et sa douleur;
je dois me contenter de mettre sous les yeux du lecteur l'adieu de la
pauvre fille a son ami; on y trouvera l'explication de sa conduite en
quelques lignes, ecrites de ce style a moitie gai et a moitie triste
qui lui etait particulier.
" Helas! Frederic, vous saviez bien que c'etait un reve. Nous ne pouvions
pas vivre tranquillement et etre heureux. J'ai voulu m'en aller d'ici;
j'ai recu la visite d'un jeune homme dont j'avais fait la connaissance en
province, du temps de ma gloire; il etait fou de moi a Bordeaux. Je ne
sais ou il avait appris mon adresse; il est venu et s'est jete a mes
pieds, comme si j'etais encore une reine de theatre. Il m'offrait sa
fortune qui n'est pas grand chose, et son coeur qui n'est rien du tout.
C'etait le lendemain, ami, souviens-t'en! tu m'avais quittee en me
repetant que tu partais. Je n'etais pas trop gaie, mon cher, et je ne
savais trop ou aller diner. Je me suis laisse emmener; malheureusement,
je n'ai pas pu y tenir: j'avais fait porter mes pantoufles chez lui; je
les ai envoye redemander, et je me suis decidee a mourir.
Oui, mon pauvre bon, j'ai voulu te laisser la. Je ne pourrais pas vivre en
apprentissage. Cependant la seconde fois j'etais decidee. Mais ton pere
est revenu chez moi: voila ce que tu n'as pas su. Que voulais-tu que je
lui disse? J'ai promis de t'oublier; je suis retournee chez mon adorateur.
Ah! que je me suis ennuyee! Est-ce ma faute si tous les hommes me semblent
laids et betes depuis que je t'aime? Je ne peux pourtant pas vivre de
l'air du temps. Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse?
Je ne me tue pas, mon ami, je m'acheve; ce n'est pas un grand meurtre que
je fais. Ma sante est deplorable, a jamais perdue. Tout cela ne serait
rien sans l'ennui. On dit que tu te maries: est-elle belle? Adieu, adieu.
Souviens-toi, quand il fera beau temps, du jour ou tu arrosais tes fleurs.
Ah! comme je t'ai aime vite! En te voyant, c'etait un soubresaut en moi,
une paleur qui me prenait. J'ai ete bien heureuse avec toi. Adieu.
Si ton pere l'avait voulu, nous ne nous serions jamais quittes; mais tu
n'avais point d'argent, voila le malheur, et moi non plus. Quand j'aurais
ete chez une lingere, je n'y serais pas restee; ainsi, que veux-tu? Voila
maintenant deux essais que je fais de recommencer: rien ne me reussit.
Je t'assure que ce n'est pas par folie que je veux mourir: j'ai toute ma
raison. Mes parents (que Dieu leur pardonne!
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