lle entra, il
venait de dejeuner et se promenait en chantant; le soleil eclairait sa
chambre et faisait reluire sur sa table une ecuelle d'argent pleine de
sequins. Il avait joue la veille, et gagne quinze cents piastres a ser
Vespasiano. De cette somme il avait achete un eventail chinois, des gants
Parfumes et une chaine d'or faite a Venise et admirablement travaillee;
il avait mis le tout dans un coffret de bois de cedre incruste de nacre,
qu'il offrit a Beatrice.
Elle recut d'abord ce cadeau avec joie; mais bientot apres, lorsqu'elle
eut appris qu'il provenait d'argent gagne au jeu, elle ne voulut plus
l'accepter. Au lieu de se joindre a la gaiete de Pippo, elle tomba dans la
reverie. Peut-etre pensait-elle qu'il avait deja moins d'amour pour elle,
puisqu'il etait retourne a ses anciens plaisirs. Quoi qu'il en fut, elle
vit que le moment etait venu de parler et d'essayer de le faire renoncer
aux desordres dans lesquels il allait retomber.
Ce n'etait pas une entreprise facile. Depuis un mois, elle avait deja
pu connaitre le caractere de Pippo. Il etait, il est vrai, d'une
nonchalance extreme pour ce qui regarde les choses ordinaires de la vie,
et il pratiquait le _far-niente_ avec delices; mais, pour les choses
plus importantes, il n'etait pas aise de le maitriser, a cause de cette
indolence meme; car, des qu'on voulait prendre de l'empire sur lui, au
lieu de lutter et de disputer, il laissait dire les gens et n'en faisait
pas moins a sa guise. Pour arriver a ses fins, Beatrice prit un detour et
lui demanda s'il voulait faire son portrait.
Il y consentit sans peine; le lendemain il acheta une toile, et fit
apporter dans sa chambre un beau chevalet de chene sculpte qui avait
appartenu a son pere. Beatrice arriva des le matin, couverte d'une ample
robe brune, dont elle se debarrassa lorsque Pippo fut pret a se mettre a
l'ouvrage. Elle parut alors devant lui dans un costume a peu pres pareil a
celui dont Paris Bordone a revetu sa Venus couronnee. Ses cheveux, noues
sur le front et entremeles de perles, tombaient sur ses bras et sur ses
epaules en longues meches ondoyantes. Un collier de perles qui descendait
jusqu'a la ceinture, fixe au milieu de sa poitrine par un fermoir d'or,
suivait et dessinait les parfaits contours de son sein nu. Sa robe de
taffetas changeant, bleu et rose, etait relevee sur le genou par une
agrafe de rubis, laissant a decouvert une jambe polie comme le marbre.
Elle portait en outre de riches
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