'elle etait seule, elle pleurait. Madame Doradour avait l'esprit
trop leger pour s'apercevoir de quelque changement dans sa filleule.--Il
me semble que tu es pale, lui disait-elle quelquefois; est-ce que tu n'as
pas bien dormi? Puis, sans attendre de reponse, elle s'occupait d'autre
chose. Gaston etait plus clairvoyant, et, quand il se donnait la peine
d'y penser, il ne se meprenait pas sur la tristesse de Margot, mais il se
disait que ce n'etait surement qu'un caprice d'enfant, un peu de jalousie
naturelle aux femmes, et qui passerait avec le temps. Il faut observer
que Margot avait toujours evite toute occasion de se trouver seule avec
lui. La pensee d'un tete-a-tete la faisait fremir, et, du plus loin
qu'elle le voyait, lorsqu'elle se promenait seule, elle se detournait,
en sorte que les precautions qu'elle prenait pour cacher son amour
paraissaient au jeune homme l'effet d'un caractere sauvage.--Singuliere
petite fille! s'etait-il dit souvent en la voyant s'enfuir des qu'il
faisait mine de l'approcher; et, pour se divertir de son trouble, il
l'avait quelquefois abordee malgre elle. Margot baissait alors la tete,
ne repondait que par monosyllabes, et se repliait, pour ainsi dire, sur
elle-meme, comme une sensitive.
Les journees s'ecoulaient dans une monotonie extreme; Gaston n'allait plus
a la chasse, on jouait peu, on se promenait rarement; tout se passait en
entretiens, et deux ou trois fois par jour madame Doradour avertissait
Margot de se retirer, afin de ne pas gener la compagnie. La pauvre enfant
ne faisait que descendre de sa chambre et y remonter. S'il lui arrivait
d'entrer au salon mal a propos, elle voyait les deux meres echanger des
signes, et tout le monde se taisait; lorsqu'on la rappelait, apres une
longue conversation secrete, elle s'asseyait sans regarder personne,
et l'inquietude qu'elle sentait ressemblait a ce qu'on eprouve en mer
lorsqu'un orage s'annonce au loin et s'avance lentement au milieu d'un
ciel calme.
Elle passait un matin devant la porte de mademoiselle de Vercelles,
lorsque celle-ci l'appela. Apres quelques mots indifferents, Margot
remarqua au doigt de sa bonne amie une jolie bague.
--Essayez-la, dit mademoiselle de Vercelles, et voyons un peu si elle
vous irait.
--Oh! mademoiselle, ma main n'est pas assez belle pour porter de pareils
bijoux.
--Laissez donc, cette bague vous va a merveille. Je vous en ferai cadeau
le jour de mes noces.
--Est-ce que vous allez vous marier?
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