ant la certitude de les satisfaire. De la le desespoir de
celui qui perd, et qui se trouve tout a coup dans l'impossibilite d'agir,
apres avoir manie des sommes enormes. De telles epreuves, repetees
souvent, epuisent et exaltent a la fois l'esprit, le jettent dans une
sorte de vertige, et les sensations ordinaires sont trop faibles, elles
se presentent d'une maniere trop lente et trop successive, pour que le
joueur, accoutume a concentrer les siennes, puisse y prendre le moindre
interet.
Heureusement pour Pippo, son pere l'avait laisse trop riche pour que la
perte ou le gain pussent exercer sur lui une influence aussi funeste.
Le desoeuvrement, plutot que le vice, l'avait pousse; il etait trop jeune,
d'ailleurs, pour que le mal fut sans remede; l'inconstance meme de ses
gouts le prouvait; il n'etait donc pas impossible qu'il se corrigeat,
pourvu qu'on sut veiller attentivement sur lui. Cette necessite n'avait
pas echappe a Beatrice, et, sans s'inquieter du soin de sa propre
reputation, elle passait pres de son amant presque toutes ses journees.
D'autre part, pour que l'habitude n'engendrat pas la satiete, elle mettait
en oeuvre toutes les ressources de la coquetterie feminine; sa coiffure,
sa parure, son langage meme, variaient sans cesse, et, de peur que Pippo
ne vint a se degouter d'elle, elle changeait de robe tous les jours.
Pippo s'apercevait de ces petits stratagemes; mais il n'etait pas si sot
que de s'en facher; tout au contraire, car de son cote il en faisait
autant; il changeait d'humeur et de facons autant de fois que de
collerette. Mais il n'avait pas, pour cela, besoin de s'y etudier; le
naturel y pourvoyait, et il disait quelquefois en riant: Un goujon est un
petit poisson, et un caprice est une petite passion.
Vivant ainsi et aimant tous deux le plaisir, nos amants s'entendaient a
merveille. Une seule chose inquietait Beatrice. Toutes les fois qu'elle
parlait a Pippo des projets qu'elle formait pour l'avenir, il se
contentait de repondre: Commencons par faire ton portrait.
--Je ne demande pas mieux, disait-elle, et il y a longtemps que cela est
convenu. Mais que comptes-tu faire ensuite? Ce portrait ne peut etre
expose en public, et il faut, des qu'il sera fini, penser a te faire
connaitre. As-tu quelque sujet dans la tete? Sera-ce un tableau d'eglise
ou d'histoire?
Quand elle lui adressait ces questions, il trouvait toujours moyen d'avoir
quelque distraction qui l'empechait d'entendre, comme, par
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