u Titien. J'ai donne tout a l'heure un coup de pied dans
ta baraque vermoulue; mais, si mon pere eut ete a ma place, sois sur que,
pour t'apprendre a te faire appeler le Tizianello, il t'aurait si bien
secoue sur ton arbre que tu en serais tombe comme une pomme pourrie.
Mais il n'en serait pas reste la. Pour te traiter comme tu le merites,
il t'aurait pris par l'oreille, insolent ecolier, et il t'aurait ramene
a l'atelier, dont tu t'es echappe avant de savoir dessiner une tete.
De quel droit salis-tu les murs de ce couvent et signes-tu de mon nom
tes miserables fresques? Va-t'en apprendre l'anatomie et copier des
ecorches pendant dix ans, comme je l'ai fait, moi, chez mon pere, et nous
verrons ensuite qui tu es et si tu as une signature. Mais jusque-la ne
t'avise plus de prendre celle qui m'appartient, sinon je te jette dans
le canal, afin de te baptiser une fois pour toutes!
Pippo sortit de l'eglise sur ces mots. Des que la foule avait entendu
son nom, elle s'etait aussitot calmee; elle s'ecarta pour lui ouvrir un
passage, et le suivit avec curiosite. Il s'en fut a la petite maison, ou
il trouva Beatrice qui l'attendait. Sans perdre de temps a lui raconter
son aventure, il prit sa palette, et, encore emu de colere, il se mit a
travailler au portrait.
En moins d'une heure il l'acheva. Il y fit en meme temps de grands
changements; il retrancha d'abord plusieurs details trop minutieux;
il disposa plus librement les draperies, retoucha le fond et les
accessoires, qui sont des parties tres importantes dans la peinture
venitienne. Il en vint ensuite a la bouche et aux yeux, et il reussit,
en quelques coups de pinceau, a leur donner une expression parfaite.
Le regard etait doux et fier; les levres, au-dessus desquelles paraissait
un leger duvet, etaient entr'ouvertes; les dents brillaient comme des
perles, et la parole semblait prete a sortir.
--Tu ne te nommeras pas Venus couronnee, dit-il quand tout fut fini, mais
Venus amoureuse.
On devine la joie de Beatrice; pendant que Pippo travaillait, elle avait
a peine ose respirer; elle l'embrassa et le remercia cent fois, et lui dit
qu'a l'avenir elle ne voulait plus l'appeler Tizianello, mais Titien.
Pendant le reste de la journee, elle ne parla que des beautes sans nombre
qu'elle decouvrait a chaque instant dans son portrait; non seulement elle
regrettait qu'il ne put etre expose, mais elle etait pres de demander
qu'il le fut. La soiree se passa a la Quintavalle, et jama
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