le pense bien, un jardin anglais, mais un
antique jardin a la mode francaise, qui en vaut bien une autre. De belles
allees sablees bordees de buis, de grands parterres brillant de couleurs
bien assorties, de jolies statues d'espace en espace, et, dans le fond,
un labyrinthe en charmille. Margot regardait le labyrinthe, dont la sombre
entree la faisait rever. La cligne-musette lui revenait en memoire, et
elle pensait que dans les detours de la charmille il devait y avoir de
bonnes cachettes.
Un beau jeune homme en costume de hussard sortit en ce moment du
labyrinthe, et se dirigea vers la maison. Apres avoir traverse le
parterre, il passa si pres de la fenetre de la salle de bain, que son
coude ebranla la persienne. Margot ne put retenir un leger cri que la
frayeur lui arracha; le jeune homme s'arreta, ouvrit la persienne, et
avanca la tete; il apercut Margot dans son bain, et, quoique hussard, il
rougit. Margot rougit aussi, et le jeune homme s'eloigna.
IV
Il y a sous le soleil une chose facheuse pour tout le monde, et
particulierement pour les petites filles: c'est que la sagesse est un
travail, et que, pour etre seulement raisonnable, il faut se donner
beaucoup de mal, tandis que, pour faire des sottises, il n'y a qu'a se
laisser aller. Homere nous apprend que Sisyphe etait le plus sage des
mortels; cependant les poetes le condamnent unanimement a rouler une
grosse roche au haut d'une montagne, d'ou elle retombe aussitot sur ce
pauvre homme, qui recommence a la rouler. Les commentateurs se sont
epuises a chercher la raison de ce supplice; quant a moi, je ne doute pas
que, par cette belle allegorie, les anciens n'aient voulu representer la
sagesse. La sagesse est, en effet, une grosse pierre que nous roulons sans
desemparer, et qui nous retombe sans cesse sur la tete. Notez que, le jour
ou elle nous echappe, il ne nous est tenu aucun compte de l'avoir roulee
pendant nombre d'annees, tandis qu'au contraire, si un fou vient a faire,
par hasard, une action raisonnable, on lui en sait un gre infini. La folie
est bien loin d'etre une pierre; c'est une bulle de savon qui s'en va
dansant devant nous, et se colorant, comme l'arc-en-ciel, de toutes les
nuances de la creation. Il arrive, il est vrai, que la bulle creve et nous
envoie quelques gouttes d'eau dans les yeux; mais aussitot il s'en forme
une nouvelle, et pour la maintenir en l'air nous n'avons besoin que de
respirer.
Par ces reflexions philosophiques,
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