je veux montrer qu'il n'est pas
etonnant que Margot fut un peu amoureuse du jeune garcon qui l'avait
apercue dans son bain, et je veux dire aussi que pour cela on ne doit pas
prendre mauvaise opinion d'elle. Lorsque l'amour se mele de nos affaires,
il n'a pas grand besoin qu'on l'aide, et on sait que lui fermer la porte
n'est pas le moyen de l'empecher d'entrer; mais il entra ici par la
croisee, et voici comment:
Ce jeune garcon en habit de hussard n'etait pas autre que Gaston, fils de
madame Doradour, qui s'etait arrache, non sans peine, aux amourettes de sa
garnison, et qui venait d'arriver chez sa mere. Le ciel voulut que la
chambre ou logeait Margot fut a l'angle de la maison, et que celle du
jeune homme y fut aussi, c'est-a-dire que leurs deux croisees etaient
presque en face l'une de l'autre, et en meme temps fort rapprochees.
Margot dinait avec madame Doradour, et passait pres d'elle l'apres-midi,
jusqu'au souper; mais de sept heures du matin jusqu'a midi, elle restait
dans sa chambre. Or Gaston, la plupart du temps, etait dans la sienne a
cette heure-la. Margot n'avait donc rien de mieux a faire que de coudre
pres de la croisee et de regarder son voisin.
Le voisinage a, de tout temps, cause de grands malheurs; il n'y a rien de
si dangereux qu'une jolie voisine; fut-elle laide, je ne m'y fierais pas,
car a force de la voir sans cesse, il arrive tot ou tard un jour ou l'on
finit par la trouver jolie. Gaston avait un petit miroir rond accroche a
sa fenetre, selon la coutume des garcons. Devant ce miroir, il se rasait,
se peignait et mettait sa cravate. Margot remarqua qu'il avait de beaux
cheveux blonds qui frisaient naturellement; cela fut cause qu'elle acheta
d'abord un flacon d'huile a la violette, et qu'elle prit soin que les deux
petits bandeaux de cheveux noirs qui sortaient de son bonnet fussent
toujours bien lisses et bien brillants. Elle s'apercut enfin que Gaston
avait de jolies cravates et qu'il les changeait fort souvent; elle fit
emplette d'une douzaine de foulards, les plus beaux qu'il y eut dans tout
le Marais. Gaston avait, en outre, cette habitude qui indignait si fort le
philosophe de Geneve, et qui le brouilla avec son ami Grimm: il se faisait
les ongles, comme dit Rousseau, avec un instrument fait expres. Margot
n'etait pas un si grand philosophe que Rousseau; au lieu de s'indigner,
elle acheta une brosse, et, pour cacher sa main, qui etait un peu rouge,
comme je l'ai deja dit, elle prit des m
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