t, si tous les huit n'avaient pas six pieds de haut, il ne s'en
fallait guere. Il est vrai que c'etait la taille du bonhomme, et la mere
avait ses cinq pieds cinq pouces; c'etait la plus belle femme du pays.
Les huit garcons, forts comme des taureaux, terreur et admiration du
village, obeissaient en esclaves a leur pere. Ils etaient, pour ainsi
dire, les premiers et les plus zeles de ses domestiques, faisant tour
a tour le metier de charretiers, de laboureurs, de batteurs en grange.
C'etait un beau spectacle que ces huit gaillards, soit qu'on les vit,
les manches retroussees, la fourche au poing, dresser une meule, soit
qu'on les rencontrat le dimanche allant a la messe bras dessus bras
dessous, leur pere marchant a leur tete; soit enfin que le soir, apres
le travail, on les vit, assis autour de la longue table de la cuisine,
deviser en mangeant la soupe et choquer en trinquant leurs grands gobelets
d'etain.
Au milieu de cette famille de geants etait venue au monde une petite
creature, pleine de sante, mais toute mignonne; c'etait le neuvieme enfant
de madame Piedeleu, Marguerite, qu'on appelait Margot. Sa tete ne venait
pas au coude de ses freres, et, quand son pere l'embrassait, il ne
manquait jamais de l'enlever de terre et de la poser sur la table. La
petite Margot n'avait pas seize ans; son nez retrousse, sa bouche bien
fendue, bien garnie et toujours riante, son teint dore par le soleil,
ses bras poteles, sa taille rondelette, lui donnaient l'air de la gaiete
meme; aussi faisait-elle la joie de la famille. Assise au milieu de ses
freres, elle brillait et rejouissait la vue, comme un bluet dans un
bouquet de ble.--Je ne sais, ma foi, disait le bonhomme, comment ma
femme s'y est prise pour me faire cet enfant-la: c'est un cadeau de la
Providence; mais toujours est-il que ce brin de fillette me fera rire
toute ma vie.
Margot dirigeait le menage; la mere Piedeleu, bien qu'elle fut encore
verte, lui en avait laisse le soin, afin de l'habituer de bonne heure a
l'ordre et a l'economie. Margot serrait le linge et le vin, avait la haute
main sur la vaisselle, qu'elle ne daignait pas laver; mais elle mettait
le couvert, versait a boire et chantait la chanson au dessert. Les
servantes de la maison ne l'appelaient que mademoiselle Marguerite, car
elle avait un certain quant-a-soi. Du reste, comme disent les bonnes gens,
elle etait sage comme une image. Je ne veux pas dire qu'elle ne fut pas
coquette; elle etait jeune, joli
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