commencaient a rentrer; une majestueuse
procession de vaches se dirigeait vers l'etable au soleil couchant, et
Margot, assise sur une botte de trefle, lisait un vieux numero du _Journal
de l'Empire_, que le cure lui avait prete [A].
[Note A: Ce paragraphe est la description exacte d'un interieur de ferme
que l'auteur avait vu, en 18l8, a l'age de sept ans, et dont le tableau
s'etait grave dans sa memoire.]
Le cure lui-meme parut en ce moment, s'approcha du bonhomme et lui remit
une lettre de la part de madame Doradour. Le bonhomme ouvrit la lettre
avec respect; mais il n'en eut pas plus tot lu les premieres lignes, qu'il
fut oblige de s'asseoir sur un banc, tant il etait emu et surpris.--Me
demander ma fille! s'ecria-t-il, ma fille unique, ma pauvre Margot!
A ces mots, madame Piedeleu epouvantee accourut; les garcons, qui
revenaient des champs, s'assemblerent autour de leur pere; Margot seule
resta a l'ecart, n'osant bouger ni respirer. Apres les premieres
exclamations, toute la famille garda un morne silence.
Le cure commenca alors a parler et a enumerer tous les avantages que
Margot trouverait a accepter la proposition de sa marraine. Madame
Doradour avait rendu de grands services aux Piedeleu, elle etait leur
bienfaitrice; elle avait besoin de quelqu'un qui lui rendit la vie
agreable, qui prit soin d'elle et de sa maison; elle s'adressait avec
confiance a ses fermiers; elle ne manquerait pas de bien traiter sa
filleule et d'assurer son avenir. Le bonhomme ecouta le cure sans mot
dire, puis il demanda quelques jours pour reflechir avant de prendre une
determination.
Ce ne fut qu'au bout d'une semaine, apres bien des hesitations et bien
des larmes, qu'il fut resolu que Margot se mettrait en route pour Paris.
La mere etait inconsolable; elle disait qu'il etait honteux de faire de
sa fille une servante, lorsqu'elle n'avait qu'a choisir parmi les plus
beaux garcons du pays pour devenir une riche fermiere. Les fils Piedeleu,
pour la premiere fois de leur vie, ne pouvaient reussir a se mettre
d'accord; ils se querellaient toute la journee, les uns consentant, les
autres refusant; enfin, c'etait un desordre et un chagrin inouis dans la
maison. Mais le bonhomme se souvenait que, dans une mauvaise annee,
madame Doradour, au lieu de lui demander son terme, lui avait envoye un
sac d'ecus; il imposa silence a tout le monde, et decida que sa fille
partirait.
Le jour du depart arrive, on mit un cheval a la carriole, af
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