nne heure
la carriere des armes, et qui en ce moment etait en garnison. Elle lui
ecrivit pour lui conter sa peine et pour le prier de venir a son secours
dans l'ennui ou elle se trouvait. Gaston aimait tendrement sa mere: il
demanda un conge et l'obtint; mais le lieu de sa garnison etait, par
malheur, la ville de Strasbourg, ou se trouvent, comme on sait, en grande
abondance les plus jolies grisettes de France. On ne voit que la de ces
brunes allemandes, pleines a la fois de la langueur germanique et de la
vivacite francaise. Gaston etait dans les bonnes graces de deux jolies
marchandes de tabac, qui ne voulurent pas le laisser s'en aller; il tenta
vainement de les persuader, il alla meme jusqu'a leur montrer la lettre de
sa mere; elles lui donnerent tant de mauvaises raisons, qu'il s'en laissa
convaincre, et retarda de jour en jour son depart.
Madame Doradour, pendant ce temps-la, tomba serieusement malade. Elle
etait nee si gaie, et le chagrin lui etait si peu naturel, qu'il ne
pouvait etre pour elle qu'une maladie. Les medecins n'y savaient que
faire.--Laissez-moi, disait-elle; je veux mourir seule. Puisque tout ce
que j'aimais m'a abandonnee, pourquoi tiendrais-je a un reste de vie
auquel personne ne s'interesse?
La plus profonde tristesse regnait dans la maison, et en meme temps le
plus grand desordre. Les domestiques, voyant leur maitresse moribonde,
et sachant son testament fait, commencaient a la negliger. L'appartement,
jadis si bien entretenu, les meubles si bien ranges etaient couverts de
poussiere.--O ma chere Ursule! s'ecriait madame Doradour, ma toute bonne,
ou etes-vous? Vous me chasseriez ces marauds-la!
Un jour qu'elle etait au plus mal, on la vit avec etonnement se redresser
tout a coup sur son seant, ecarter ses rideaux et mettre ses lunettes.
Elle tenait a la main une lettre qu'on venait de lui apporter et qu'elle
Deplia avec grand soin. Au haut de la feuille etait une belle vignette
representant le temple de l'Amitie avec un autel au milieu et deux coeurs
enflammes sur l'autel. La lettre etait ecrite en grosse batarde, les mots
parfaitement alignes, avec de grands traits de plume aux queues des
majuscules. C'etait un compliment de bonne annee, a peu pres concu en
ces termes:
"Madame et chere marraine,
"C'est pour vous la souhaiter bonne et heureuse que je prends la plume
pour toute la famille, etant la seule qui sache ecrire chez nous. Papa,
maman et mes freres vous la souhaitent de meme.
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