is les deux
amants n'avaient ete plus gais ni plus heureux. Pippo montrait lui-meme
une joie d'enfant, et ce ne fut que le plus tard possible, apres mille
protestations d'amour, que Beatrice se decida a se separer de lui pour
quelques heures.
Elle ne dormit pas de la nuit; les plus riants projets, les plus douces
esperances l'agiterent. Elle voyait deja ses reves realises, son amant
vante et envie par toute l'Italie, et Venise lui devant une gloire
nouvelle. Le lendemain, elle se rendit, comme d'ordinaire, la premiere
au rendez-vous, et elle commenca, en attendant Pippo, par regarder son
cher portrait. Le fond de ce portrait etait un paysage, et il y avait sur
le premier plan une roche. Sur cette roche, Beatrice apercut quelques
lignes tracees avec du cinabre. Elle se pencha avec inquietude pour les
lire; en caracteres gothiques tres fins, etait ecrit le sonnet suivant:
Beatrix Donato fut le doux nom de celle
Dont la forme terrestre eut ce divin contour;
Dans sa blanche poitrine etait un coeur fidele,
Et dans son corps sans tache un esprit sans detour.
Le fils du Titien, pour la rendre immortelle,
Fit ce portrait, temoin d'un mutuel amour;
Puis il cessa de peindre a compter de ce jour,
Ne voulant de sa main illustrer d'autre qu'elle.
Passant, qui que tu sois, si ton coeur sait aimer,
Regarde ma maitresse avant de me blamer,
Et dis si par hasard la tienne est aussi belle.
Vois donc combien c'est peu que la gloire ici-bas,
Puisque, tout beau qu'il est, ce portrait ne vaut pas,
Crois-m'en sur ma parole, un baiser du modele.
Quelque effort que Beatrice put faire par la suite, elle n'obtint jamais
de son amant qu'il travaillat de nouveau; il fut inflexible a toutes ses
prieres, et, quand elle le pressait trop vivement, il lui recitait son
sonnet. Il resta ainsi jusqu'a sa mort fidele a sa paresse; et Beatrice,
dit-on, le fut a son amour. Ils vecurent longtemps comme deux epoux, et
il est a regretter que l'orgueil des Loredans, blesse de cette liaison
publique, ait detruit le portrait de Beatrice, comme le hasard avait
detruit le premier tableau du Tizianello [A].
[Note A: C'est aux recherches d'un amateur celebre, M. Doglioni, qu'on,
doit de savoir que ce tableau a existe. (_Note de l'auteur._)]
FIN DU FILS DU TITIEN.
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V. MARGOT
1838
I
Dans une grande et gothique maison, rue du Perche au Marais, habitait,
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