agreable de ne pas les entendre
distinctement, et de nous laisser entrainer par la musique seule. Ce fut
a peu pres ce que fit Pippo. Sans songer a ce qu'on lui demandait, il
s'approcha de Beatrice, lui donna un baiser sur le front, et lui dit:
--Tout ce que tu voudras, tu es belle comme un ange.
Il fut convenu qu'a partir de ce jour, Pippo travaillerait regulierement.
Beatrice voulut qu'il s'y engageat par ecrit. Elle tira ses tablettes, et
en y tracant quelques lignes avec une fierte amoureuse:
--Tu sais, dit-elle, que nous autres Loredans, nous tenons des comptes
fideles [A]. Je t'inscris comme mon debiteur pour deux heures de travail
par jour pendant un an; signe, et paye-moi exactement, afin que je sache
que tu m'aimes.
[Note A: Lorsque Foscari fut juge, Jacques Loredan, fils de Pierre,
croyait ou feignait de croire avoir a venger les pertes de sa famille.
Dans ses livres de compte (car il faisait le commerce, comme, a cette
epoque, presque tous les patriciens), il avait inscrit de sa propre main
le doge au nombre de ses debiteurs, "pour la mort, y etait-il dit, de mon
pere et de mon oncle". De l'autre cote du registre, il avait laisse une
page en blanc, pour y faire mention du recouvrement de cette dette; et en
effet, apres la perte du doge, il ecrivit sur son registre: _l'ha pagata_,
il l'a payee. (DARU, _Hist. de la Republique de Venise_.)
(_Note de l'auteur_.)]
Pippo signa de bonne grace.--Mais il est bien entendu, dit-il, que je
commencerai par faire ton portrait.
Beatrice l'embrassa a son tour, et lui dit a l'oreille:
--Et moi aussi je ferai ton portrait, un beau portrait bien ressemblant,
non pas inanime, mais vivant.
VII
L'amour de Pippo et de Beatrice avait pu se comparer d'abord a une source
qui s'echappe de terre; il ressemblait maintenant a un ruisseau qui
s'infiltre peu a peu et se creuse un lit dans le sable. Si Pippo eut ete
noble, il eut certainement epouse Beatrice; car, a mesure qu'ils se
connaissaient mieux, ils s'aimaient davantage; mais, quoique les Vecelli
fussent d'une bonne famille de Cador en Frioul, une pareille union n'etait
pas possible. Non seulement les proches parents de Beatrice s'y seraient
opposes, mais tout ce qui portait a Venise un nom patricien se serait
indigne. Ceux qui toleraient le plus volontiers les intrigues d'amour, et
qui ne trouvaient rien a redire a ce qu'une noble dame fut la maitresse
d'un peintre, n'eussent jamais pardonne a cette meme
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