t de vanite. Quand nous nous
penchons sur une source limpide, notre image s'y peint aussitot, et notre
approche fait naitre un frere qui, du fond de l'eau, vient au-devant de
nous. Ainsi, dans l'ame humaine, l'amour appelle l'amour et le fait eclore
d'un regard. Pippo se jeta aussi a genoux. Inclines l'un devant l'autre,
ils resterent ainsi tous deux quelques moments, echangeant leurs premiers
baisers.
Si Beatrice etait fille des Loredans, le doux sang de sa mere, Bianca
Contarini, coulait aussi dans ses veines. Jamais creature en ce monde
n'avait ete meilleure que cette mere, qui etait aussi une des beautes de
Venise. Toujours heureuse et avenante, ne pensant qu'a bien vivre durant
la paix, et, en temps de guerre, amoureuse de la patrie, Bianca semblait
la soeur ainee de ses filles. Elle mourut jeune, et, morte, elle etait
belle encore.
C'etait par elle que Beatrice avait appris a connaitre et a aimer
les arts, et surtout la peinture. Ce n'est pas que la jeune veuve fut
devenue bien savante sur ce sujet. Elle avait ete a Rome et a Florence,
et les chefs-d'oeuvre de Michel-Ange ne lui avaient inspire que de la
curiosite. Romaine, elle n'eut aime que Raphael; mais elle etait fille de
l'Adriatique, et elle preferait le Titien. Pendant que tout le monde
s'occupait, autour d'elle, d'intrigues de cour ou des affaires de la
republique, elle ne s'inquietait que de tableaux nouveaux et de ce
qu'allait devenir son art favori apres la mort du vieux Vecellio. Elle
avait vu au palais Dolfin le tableau dont j'ai parle au commencement de
ce conte, le seul qu'eut fait le Tizianello, et qui avait peri dans un
incendie. Apres avoir admire cette toile, elle avait rencontre Pippo
chez la signora Dorothee, et elle s'etait eprise pour lui d'un amour
irresistible.
La peinture, au siecle de Jules II et de Leon X, n'etait pas un metier
comme aujourd'hui; c'etait une religion pour les artistes, un gout
eclaire chez les grands seigneurs, une gloire pour l'Italie et une
passion pour les femmes. Lorsqu'un pape quittait le Vatican pour rendre
visite a Buonarotti, la fille d'un noble venitien pouvait sans honte
aimer le Tizianello; mais Beatrice avait concu un projet qui elevait et
enhardissait sa passion. Elle voulait faire de Pippo plus que son amant,
elle voulait en faire un grand peintre. Elle connaissait la vie dereglee
qu'il menait, et elle avait resolu de l'en arracher. Elle savait qu'en
lui, malgre ses desordres, le feu sacre des art
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