ilieu de la nuit. Quelquefois, en sonnant a la porte,
il se demandait, malgre lui, s'il allait la trouver seule; et si un
rival l'avait supplante, aurait-il eu le droit de se plaindre? Non sans
doute, puisque, de son propre aveu, il refusait de s'arroger ce droit.
Le dirai-je? ce qu'il craignait, il le souhaitait presque en meme temps.
Il aurait eu alors le courage de partir, et l'infidelite de sa maitresse
l'aurait force de se separer d'elle. Mais Bernerette etait toujours seule;
assise au coin du feu pendant le jour, elle peignait ses longs cheveux qui
lui tombaient sur les epaules; s'il etait nuit quand Frederic sonnait,
elle accourait a demi nue, les yeux fermes et le rire sur les levres; elle
se jetait a son cou encore endormie, rallumait le feu, tirait de l'armoire
de quoi souper, toujours alerte et prevenante, ne demandant jamais d'ou
venait son amant. Qui aurait pu resister a une vie si douce, a un amour si
rare et si facile? Quels que fussent les soucis de la journee, Frederic
s'endormait heureux; et pouvait-il s'eveiller triste lorsqu'il voyait
sa joyeuse amie aller et venir par la chambre, preparant le bain et le
dejeuner?
S'il est vrai que de rares entrevues et des obstacles sans cesse
renaissants rendent les passions plus vivaces et pretent au plaisir
l'interet de la curiosite, il faut avouer aussi qu'il y a un charme
etrange, plus doux, plus dangereux peut-etre, dans l'habitude de vivre
avec ce qu'on aime. Cette habitude, dit-on, amene la satiete; c'est
possible, mais elle donne la confiance, l'oubli de soi-meme, et lorsque
l'amour y resiste, il est a l'abri de toute crainte. Les amants qui ne se
voient qu'a de longs intervalles ne sont jamais surs de s'entendre; ils
se preparent a etre heureux, ils veulent se convaincre mutuellement qu'ils
le sont, et ils cherchent ce qui est introuvable, c'est-a-dire des mots
pour exprimer ce qu'ils sentent. Ceux qui vivent ensemble n'ont besoin
de rien exprimer: ils sentent en meme temps, ils echangent des regards,
ils se serrent la main en marchant; ils connaissent seuls une jouissance
delicieuse, la douce langueur des lendemains; ils se reposent des
transports de l'amour dans l'abandon de l'amitie: j'ai quelquefois pense
a ces liens charmants en voyant deux cygnes sur une eau limpide se laisser
emporter au courant.
Si un mouvement de generosite avait entraine d'abord Frederic, ce fut
l'attrait de cette vie nouvelle pour lui qui le captiva. Malheureusement
pour l'a
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