uteur de ce conte, il n'y a qu'une plume comme celle de Bernardin
de Saint-Pierre qui puisse donner de l'interet aux details familiers d'un
amour tranquille. Encore cet habile ecrivain avait-il, pour embellir ses
recits naifs, les nuits ardentes de l'Ile-de-France, et les palmiers dont
l'ombre frissonnait sur les bras nus de Virginie. C'est en presence de
la plus riche nature qu'il nous peint ses heros; dirai-je que les miens
allaient tous les matins au tir du pistolet de Tivoli, de la chez leur
ami Gerard, de la quelquefois diner chez Very, et ensuite au spectacle?
dirai-je que, lorsqu'ils etaient las, ils jouaient aux dames au coin du
feu? Qui voudrait lire des details si vulgaires? et a quoi bon, lorsqu'un
mot suffit? Ils s'aimaient, ils vivaient ensemble; cela dura trois mois a
peu pres.
Au bout de ce temps, Frederic se trouva dans une position si facheuse,
qu'il annonca a son amie la necessite ou il etait de se separer d'elle.
Elle s'y attendait depuis longtemps, et ne fit aucun effort pour le
retenir; elle savait qu'il avait fait pour elle tous les sacrifices
possibles; elle ne pouvait donc que se resigner, et lui cacher le chagrin
qu'elle eprouvait. Ils dinerent ensemble encore une fois. Frederic glissa,
en sortant, dans le manchon de Bernerette un petit papier qui renfermait
tout ce qui lui restait. Elle le reconduisit chez lui, et garda le silence
pendant la route. Quand le fiacre s'arreta, elle baisa la main de son
amant en repandant quelques larmes, et ils se separerent.
VII
Cependant Frederic n'avait ni l'intention ni la possibilite de partir.
D'une part les obligations qu'il avait contractees, d'une autre son stage,
le retenaient a Paris. Il travailla avec ardeur pour chasser l'ennui qui
le saisissait; il cessa d'aller chez Gerard, s'enferma pendant un mois, et
ne sortit plus que pour se rendre au Palais. Mais la solitude ou il se
trouvait tout a coup, apres tant de dissipation, le plongea dans une
melancolie profonde. Il passait quelquefois des journees entieres dans sa
chambre a se promener de long en large, sans ouvrir un livre et ne sachant
que faire. Le carnaval venait de finir; aux neiges de fevrier succedaient
les pluies glaciales de mars. N'etant distrait ni par le plaisir ni par la
societe de ses amis, Frederic se livra avec amertume a l'influence de ce
triste moment de l'annee qu'on nomme avec raison une _saison morte_.
Gerard vint le voir et lui demanda le motif d'une reclusion si s
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