tenant la main. Elle lui faisait, pour le divertir, mille contes sur sa
vie passee; mais, des qu'il s'agissait du present et de sa funeste action,
elle restait muette. Aucune question, aucune priere de Frederic n'obtenait
de reponse. S'il insistait, elle devenait sombre et chagrine. Elle etait
un soir au lit; on venait de la saigner de nouveau, et il sortait encore
un peu de sang de la blessure mal fermee. Elle regardait en souriant
couler une larme de pourpre sur son bras aussi blanc que le marbre.
--M'aimes-tu encore? dit-elle a Frederic; est-ce que toutes ces horreurs
ne te degoutent pas de moi?
--Je t'aime, repondit-il, et rien ne nous separera maintenant.
--Est-ce vrai? reprit-elle en l'embrassant; ne me trompez pas; dites-moi
si c'est un reve.
--Non, ce n'est pas un reve, non, ma belle et chere maitresse; vivons
tranquilles, soyons heureux.
--Helas! nous ne pouvons pas, nous ne pouvons pas! s'ecria-t-elle avec
angoisse. Puis elle ajouta a voix basse: Et si nous ne pouvons pas, c'est
a recommencer.
Quoiqu'elle n'eut fait que murmurer ces dernieres paroles, Frederic les
avait entendues, et il en avait frissonne. Il les repeta le lendemain a
Gerard.
--Mon parti est pris, lui dit-il; je ne sais ce que mon pere en dira, mais
je l'aime, et, quoi qu'il arrive, je ne la laisserai pas mourir.
Il prit, en effet, un parti dangereux, mais le seul qui s'offrit a lui.
Il ecrivit a son pere, et lui confia l'histoire de ses amours. Il oublia
dans sa lettre l'infidelite de Bernerette; il ne parla que de sa beaute,
de sa constance, de la douce opiniatrete qu'elle avait mise a le revoir;
enfin de l'horrible tentative qu'elle venait de faire sur elle-meme. Le
pere de Frederic, vieillard septuagenaire, aimait son fils unique plus
que sa propre vie. Il accourut en toute hate a Paris, accompagne de
mademoiselle Hombert, sa soeur, vieille demoiselle fort devote.
Malheureusement ni le digne homme ni la bonne tante n'avaient pour vertu
la discretion, en sorte que, des leur arrivee, toutes leurs connaissances
surent que Frederic etait amoureux fou d'une grisette qui s'etait
empoisonnee pour lui. On ajouta bientot qu'il voulait l'epouser; les
malveillants crierent au scandale, au deshonneur de la famille; sous
pretexte de defendre la cause du jeune homme, mademoiselle Darcy raconta
tout ce qu'elle savait, avec les details les plus romanesques. Bref,
en voulant conjurer l'orage, Frederic le vit fondre sur sa tete de tous
co
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