ubite. Il
n'en fit point mystere; mais il refusa les offres de service de son ami.
--Il est temps, lui dit-il, de rompre avec des habitudes qui ne peuvent
que me conduire a ma perte. Il vaut mieux supporter quelque ennui que de
s'exposer a des malheurs reels.
Il ne dissimula point le chagrin qu'il ressentait d'etre separe de
Bernerette, et Gerard ne put que le plaindre et le feliciter en meme
temps de la determination qu'il avait prise.
A la mi-careme, il alla au bal de l'Opera. Il y trouva peu de monde. Ce
dernier adieu aux plaisirs n'avait pas meme la douceur d'un souvenir.
L'orchestre, plus nombreux que le public, jouait dans le desert les
contredanses de l'hiver. Quelques masques erraient dans le foyer; a leur
tournure et a leur langage, on s'apercevait que les femmes de bonne
compagnie ne viennent plus a ces fetes oubliees. Frederic allait se
retirer, lorsqu'un domino s'assit pres de lui. Il reconnut Bernerette,
et elle lui dit qu'elle n'etait venue que dans l'espoir de le rencontrer.
Il lui demanda ce qu'elle avait fait depuis qu'il ne l'avait vue; elle lui
repondit qu'elle avait l'espoir de rentrer au theatre; elle apprenait un
role pour debuter. Frederic fut tente de l'emmener souper; mais il pensa
a la facilite avec laquelle il s'etait laisse entrainer, a son retour de
Besancon, par une occasion pareille; il lui serra la main et sortit seul
de la salle.
On a dit que le chagrin vaut mieux que l'ennui; c'est un triste mot
malheureusement vrai. Une ame bien nee trouve contre le chagrin, quel
qu'il soit, de l'energie et du courage; une grande douleur est souvent
un grand bien. L'ennui, au contraire, ronge et detruit l'homme; l'esprit
s'engourdit, le corps reste immobile, et la pensee flotte au hasard.
N'avoir plus de raison de vivre est un etat pire que la mort. Quand la
prudence, l'interet et la raison s'opposent a une passion, il est facile
au premier venu de blamer justement celui que cette passion entraine. Les
arguments abondent sur ces sortes de sujets, et, bon gre, mal gre, il faut
qu'on s'y rende. Mais quand le sacrifice est fait, quand la raison et la
prudence sont satisfaites, quel philosophe ou quel sophiste n'est au bout
de ses arguments? et que repondre a l'homme qui vous dit:--J'ai suivi vos
conseil, mais j'ai tout perdu: j'ai agi sagement, mais je souffre?
Telle etait la situation de Frederic. Bernerette lui ecrivit deux fois.
Dans sa premiere lettre, elle disait que la vie lui etait devenu
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