il se laissa entrainer par son
coeur, et se jura, quoi qu'il put arriver, de ne jamais se repentir de ce
qu'il venait de faire.
Il fut pourtant bientot force de s'en repentir; car, pour satisfaire aux
engagements qu'il avait pris, il lui fallut en contracter de nouveaux,
plus difficiles et plus onereux que les premiers. Il n'avait pas recu de
la nature ce caractere insouciant qui, en pareille circonstance, ote du
moins la crainte du mal a venir; tout au contraire, des qualites qu'il
avait perdues, la prevoyance lui restait seule; il serait devenu sombre
et taciturne, si l'on pouvait l'etre a son age. Ses amis remarquerent ce
changement; il n'en voulut pas dire la cause; pour tromper les autres sur
son compte, il dissimula avec lui-meme, et par faiblesse ou par necessite
laissa faire la destinee.
Il ne changea cependant pas de langage aupres de Bernerette; il lui
parlait toujours de son prochain depart; mais, tout en parlant, il
ne partait pas, et il allait chez elle tous les jours. Quand il eut
l'habitude de l'escalier, il ne trouva plus l'allee si obscure; les deux
chambrettes, qui lui avaient semble d'abord si tristes, lui parurent
gaies; le soleil y donnait le matin, et leur petite dimension les rendait
plus chaudes; on y trouva la place d'un piano de louage. Il y avait dans
le voisinage un bon restaurant d'ou l'on faisait apporter a diner.
Bernerette avait un talent que les femmes seules possedent quelquefois,
celui d'etre a la fois etourdie et econome; mais elle y joignait un merite
bien plus rare encore, celui d'etre contente de tout, et d'avoir pour
toute opinion l'envie de faire plaisir aux autres.
Il faut dire aussi ses defauts; sans etre paresseuse, elle vivait dans
Une oisivete inconcevable. Apres s'etre acquittee avec une prestesse
surprenante des soins de son petit menage, elle passait la journee
entiere, les bras croises, sur son canape. Elle parlait de coudre et
de broder comme Frederic parlait de partir, c'est-a-dire qu'elle n'en
faisait rien. Malheureusement bien des femmes sont ainsi, surtout dans une
certaine classe qui aurait precisement besoin d'occupation plus que toute
autre. Il y a a Paris telle fille nee sans pain, qui n'a jamais tenu une
aiguille, et qui se laisserait mourir de faim en se frottant les mains de
pate d'amandes.
Quand les plaisirs du carnaval commencerent, Frederic, qui courait les
bals, arrivait a toute heure chez Bernerette, tantot le matin au point du
jour, tantot au m
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