couvrirent la vallee, et une pluie battante commenca a tomber.
--Qu'allons-nous devenir? dit Gerard. Nous avons pres de deux lieues a
faire pour regagner Montmorency, et ce n'est pas la un orage d'ete qu'on
n'a qu'a laisser passer; c'est une vraie pluie d'hiver, il y en a pour
toute la nuit.
--Pourquoi cela? dit Bernerette; une pluie d'hiver passe comme une autre.
Faisons une partie de cartes pour nous distraire; quand la lune se levera,
nous aurons beau temps.
La meuniere, comme on peut penser, n'avait pas de cartes chez elle; par
consequent, point de partie. Cecile, la maitresse de Gerard, commencait a
regretter l'auberge, et a trembler pour sa robe neuve. Il fallut mettre
les chevaux a l'abri sous un hangar. Deux grands garcons d'assez mauvaise
mine entrerent dans la chambre; c'etaient les fils de la meuniere; ils
demanderent a souper, peu satisfaits de trouver des etrangers. Gerard
s'impatientait, Frederic n'etait pas de bonne humeur. Rien n'est plus
triste que des gens qui viennent de rire, lorsqu'un contre-temps imprevu
a detruit leur joie. Bernerette seule conservait la sienne, et ne semblait
se soucier de rien.
--Puisque nous n'avons pas de cartes, dit-elle, je vais vous proposer
un jeu. Quoique nous soyons en novembre, tachons d'abord de trouver une
mouche.
--Une mouche! dit Gerard; qu'en voulez-vous faire?
--Cherchons toujours, nous verrons apres.
Tout examine, la mouche fut trouvee. La pauvre bete etait engourdie par
l'approche de l'hiver. Bernerette s'en saisit delicatement, et la posa au
milieu de la table. Elle fit ensuite asseoir tout le monde.
--Maintenant, dit-elle, prenons chacun un morceau de sucre, et placons-le
devant nous, sur cette table. Mettons chacun une piece de monnaie dans une
assiette; ce sera l'enjeu. Que personne ne parle ni ne bouge. Laissez la
mouche se reveiller; la voila deja qui voltige; elle va se poser sur un
des morceaux de sucre, puis le quitter, aller a un autre, revenir, selon
son caprice. Toutes les fois qu'un morceau de sucre l'aura attiree et
fixee, celui a qui appartiendra le morceau prendra une piece, jusqu'a ce
que l'assiette soit vide, et alors nous recommencerons.
La plaisante idee de Bernerette ramena la gaiete. On suivit ses
instructions; deux ou trois autres mouches arriverent. Chacun, dans le
plus religieux silence, les suivait des yeux, tandis qu'elles tournoyaient
en l'air au-dessus de la table. Si l'une d'elles se posait sur le sucre,
c'etait
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