on profit et de faire beaucoup
de progres en peu de temps. Les femmes comme Sylvia se donnent par
amour; mais, ou je me trompe bien, ou celles qui ressemblent a Fernande
se laissent prendre sans savoir pourquoi, sauf a en etre au desespoir
le lendemain. Je ne pense pas; que Lovelace, a ma place, eut agi aussi
vertueusement que moi; mais je n'ai pas l'honneur d'etre M. Lovelace, et
j'agis selon ma maniere, qui n'a rien de scelerat. Surprendre les sens
d'une jeune femme pour laquelle je n'ai point d'amour, et la livrer a la
honte et a la colere, en m'adressant le lendemain sous ses yeux a une
autre, ce ne serait pas seulement le fait d'un lache, mais celui d'un
sot. Car, assurement, apres avoir possede ces deux femmes, je serais
chasse et deteste de toutes deux; et je ne crois pas que le souvenir
d'avoir presse Fernande une heure dans mes bras valut le bonheur de
m'asseoir pendant un an seulement a cote de Sylvia.
J'ai donc coupe court a cette intrigue, qui prenait une tournure trop
folle; mais trop fou moi-meme pour me resoudre a detruire tout a fait
mon roman en un jour, j'ai pris Fernande pour confidente et pour
protectrice. Je lui ai ecrit un billet bien sentimental, ou, avec un
peu de flatterie, un peu d'exageration et un peu de mensonge, je l'ai
engagee a m'accorder une entrevue pour traiter de la grande affaire de
ma reconciliation avec Sylvia. J'ai arrange mon plan de maniere a faire
durer le plus longtemps possible le mysterieux mais innocent commerce
que j'ai etabli avec mon bel avocat. J'aurai donc pour quelques jours
encore le clair de lune, les appels du hautbois, les promenades sur la
mousse, les robes blanches a travers les arbres, les billets sous la
pierre du grand ormeau, en un mot ce qu'il y a de plus charmant dans une
passion, les accessoires. Je suis bien enfant, n'est-ce pas? Oh bien,
oui! et je n'en ai pas honte. Il y a si longtemps que je suis triste et
ennuye!
XLII.
DE FERNANDE A CLEMENCE.
Eh bien! je me suis decidee a aller consoler cet amant infortune. Tu
diras ce que tu voudras, mais il me semble que j'ai bien fait, car je me
sens le coeur heureux et attendri. J'ai emmene Rosette, apres lui avoir
bien recommande le secret (elle etait deja dans la confidence), et nous
avons ete ensemble au grand ormeau. Le pauvre desole est venu a moi avec
des transports de joie et de reconnaissance. C'est un bien bon jeune
homme que cet Octave, et je suis sure a present qu'il est digne de
Sylvia. I
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