amoureux, si ce n'est de Syivia? Pourtant je n'en sais
rien; je vis aupres de deux femmes charmantes, et il me semble etre
egalement epris de toutes deux. Je suis emu, content, actif; je m'amuse
de tout: j'ai des envies de rire comme un enfant et des envies de
gambader comme un jeune chien. Peut-etre que j'ai enfin trouve la
maniere de vivre qui me convient. Ne rien faire d'obligatoire; m'occuper
doucement de dessin et de musique, habiter un beau et tranquille pays
avec d'aimables amis, aller a la chasse, a la peche, voir autour de moi
des etres heureux du meme bonheur et remplis des memes gouts; oui, cela
est une douce et sainte vie.
Je t'avouerai que je commencais a devenir serieusement amoureux de
Fernande lorsque heureusement Sylvia a decouvert le roman et l'a termine
avec quelques reproches et une poignee de main. Elle a bien fait: ce
roman me montait trop au cerveau; ces rendez-vous, ces forets, ces nuits
d'ete, ces billets, ces douces confidences, Fernande affligee de la
froideur de son mari, et repandant ses belles larmes dans mon sein, tout
cela devenait trop enivrant pour ma pauvre tete. Je ne pensais pas
plus a Sylvia que si elle n'eut jamais existe, et je fuyais toutes les
occasions de reussir dans ma pretendue entreprise. Je ne saurais avoir
beaucoup de remords de toutes les folies qui m'ont passe par l'esprit
durant ces jours de bonheur et d'imprudence. Quel autre a ma place n'eut
fait pis? Mais je suis un scelerat fort ingenu, et je trouve mon bonheur
dans la pensee et dans l'espoir du crime plutot que dans le crime
lui-meme. J'ai horreur des plaisirs qu'il faut acheter par des perfidies
et payer par des remords. Attirer Fernande a un rendez-vous et baiser
doucement ses mains, en m'entendant appeler son ami et son frere, me
semblait beaucoup plus agreable que de recevoir les embrassements de la
passion et du desespoir.... Je n'ai jamais seduit personne, et je ne
crois pas que les reproches et les terreurs d'une femme rendent bien
heureux; et puis il y a un etrange plaisir a proteger et a respecter une
pudeur qui se confie et s'abandonne a vous! L'idee que j'etais le maitre
de bouleverser cette ame naive et de ravir ce tresor suffisait a mon
orgueil; je goutais un raffinement de vanite a la voir se livrer, et a
ne pas vouloir abuser de sa confiance.
Cependant je commencais a etre trop emu; je ne savais plus ce que je
disais, et si Fernande n'a pas devine ce qui se passait en moi, il faut
qu'elle soit au
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